lundi 30 juin 2008

Salvador Allende, RÉFLEXIONS DE FIDEL CASTRO



Salvador Allende, un exemple qui restera

Il était né voilà cent ans à Valparaiso, au sud du Chili, le 26 juin 1908. Son père, de la classe moyenne, avocat et notaire, militait au Parti radical. A ma naissance, Allende avait dix-huit ans. Il faisait des études secondaires dans un lycée de sa ville natale.

Quand il faisait le deuxième cycle du second degré, un vieil anarchiste italien, Juan Demarchi, le mit en contact avec les ouvrages de Marx.

Il conclut de brillantes études secondaires. Il aime le sport et en fait. Il fait volontairement son service militaire au régiment des cuirassiers de Viña del Mar. Il demande à être muté au régiment des lanciers de Tacna, une enclave chilienne dans le Nord sec et semi désertique qui sera rendu plus tard au Pérou. Il termine son service militaire comme officier de réserve de l’armée. C’est déjà quelqu’un aux idées socialistes et marxistes. Non un mollasson sans caractère. C’est comme s’il devinait déjà qu’il combattrait un jour jusqu'à la mort pour défendre les convictions qui commençaient à germer dans son esprit.

Il décide de faire des études de médecine à l’Université du Chili. Il organise un groupe de compagnons qui se réunit périodiquement pour lire des ouvrages marxistes et en discuter. Il fonde le groupe Avance en 1929. Il est élu vice-président de la Fédération des étudiants chiliens en 1930 et participe activement à la lutte contre la dictature de Carlos Ibánez.

A cette époque, la grande dépression économique frappait les Etats-Unis après le krach de la bourse des valeurs en 1929 ; Cuba commençait à lutter contre la tyrannie de Machado et Mella avait été assassiné. Les ouvriers et les étudiants cubains faisaient face à la répression. Les communistes, Martínez Villena à leur tête, déclenchaient la grève générale. « Il faut charger pour tuer les scélérats, pour conclure l’œuvre des révolutions… », avait-il écrit dans un vibrant poème. Guiteras, aux profondes pensées anti-impérialistes, tentait de renverser la tyrannie par les armes. Machado est balayé, incapable de résister à la poussée de la nation, et une révolution éclate que les Etats-Unis écrasent en quelques mois par une main de fer et des gants de velours, établissant leur mainmise absolue sur notre pays jusqu’en 1959.

Durant cette période, Salvador Allende, dans un pays où la domination impérialiste s’exerce brutalement sur ses travailleurs, sur sa culture et sur ses richesses naturelles, se bat sans trêve, en révolutionnaire conséquent.

Il conclut ses études de médecine en 1933. Il participe à la fondation du Parti socialiste chilien. En 1935, il dirige déjà l’Association médicale chilienne. Il est emprisonné pendant presque six mois. Il pousse à la création du Front populaire, et il est élu sous-secrétaire général du Parti socialiste en 1936.

En septembre 1939, il devient ministre de la Santé dans le gouvernement du Front populaire. Il publie un ouvrage consacré à la médecine sociale. Il organise la première Exposition du logement. Il participe en 1941 à la réunion annuelle de l’Association médicale américaine aux Etats-Unis. En 1942, il est élu secrétaire général du Parti socialiste. En 1947, il vote au Sénat contre la loi de défense permanente de la démocratie, connue comme la « Loi maudite » par sa nature répressive. En 1949, il est élu président du Collège des médecins.

En 1952, le Front du peuple le postule à la présidence de la République. Il est battu. Il a alors quarante-quatre ans. Il présente au Sénat un projet de loi portant nationalisation du cuivre. En 1954, il se rend en France, en Italie, en Union soviétique et en République populaire de Chine.

Quatre ans après, en 1958, il est déclaré candidat à la présidence par le Front d’action populaire, formé de l’Union socialiste populaire, du Parti socialiste et du Parti communiste. Il perd les élections face au conservateur Jorge Alessandri.

En 1959, il assiste à l’investiture comme président du Venezuela de Rómulo Betancourt, considéré alors une figure révolutionnaire de gauche.

Cette même année, il vient à La Havane et s’entretient avec le Che et moi-même. En 1960, il soutient les mineurs du charbon qui font grève pendant trois mois.

En 1961, à la réunion de l’Organisation des Etats américains (OEA) qui se tient à Punta del Este (Uruguay), il dénonce aux côtés du Che la nature démagogique de l’Alliance pour le progrès.

En 1964, nommé de nouveau candidat à la présidence, il est battu par Eduardo Frei Montalva, un démocrate-chrétien qui a bénéficié de toutes les ressources des classes dominantes et qui, selon des documents déclassés du Sénat étasunien, a reçu de l’argent de la CIA pour sa campagne électorale. Sous son gouvernement, l’impérialisme tente de mettre en place ce qu’il appelle la « Révolution dans la liberté », réponse idéologique à la Révolution cubaine, engendrant en fait les fondements de la tyrannie fasciste. Allende obtient toutefois à ces élections plus d’un million de voix.

En 1966, il conduit la délégation qui assiste à la Conférence tricontinentale de La Havane. En 1967, il se rend en Union soviétique pour le cinquantième anniversaire de la Révolution d’Octobre. En 1968, il visite la République populaire et démocratique de Corée, la République démocratique du Vietnam où il a la satisfaction de rencontrer l’extraordinaire dirigeant de ce pays, Ho Chi Minh, ainsi que le Cambodge et le Laos en pleine effervescence révolutionnaire.

Après la mort du Che en 1967, il avait accompagné personnellement à Tahiti les trois Cubains de la guérilla de Bolivie qui avaient pu réchapper et entrer au Chili.

Le 22 janvier 1970, l’Unité populaire, une coalition politique formée des communistes, des socialistes, des radicaux, du MAPU, du PADENA et d’Action populaire indépendante, l’investit comme candidat à la présidence. Il remporte les élections le 4 septembre.

Exemple vraiment classique d’une lutte pacifique pour instaurer le socialisme.

L’administration étasunienne, présidée par Richard Nixon, entre aussitôt en action après cette victoire électorale. Pour avoir refusé de se plier aux desiderata impérialistes – le coup d’Etat – le commandant en chef de l’armée chilienne, le général René Schneider, est victime d’un attentat le 22 octobre 1970 et meurt trois jours après. Mais cette tentative d’empêcher l’Unité populaire d’accéder à la présidence échoue.

Le 3 novembre 1970, Allende devient président du Chili en toute légalité et dignité. Débute alors la bataille héroïque de son gouvernement pour imposer des changements face au fascisme. Il a soixante-deux ans. J’ai l’honneur d’avoir partagé avec lui quatorze années de lutte anti-impérialiste à partir de la victoire de la Révolution cubaine.

L’Unité populaire obtient la majorité absolue (50,86 p. 100) aux élections municipales de mars 1971. Le 11 juillet, Allende promulgue la Loi portant nationalisation du cuivre, une idée qu’il avait proposée au Sénat dix-neuf ans auparavant. Personne n’ose s’y opposer, et le Congrès l’adopte à l’unanimité.

En 1972, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, il dénonce l’agression étrangère dont est victime son pays. Les assistants, debout, l’ovationnent pendant plusieurs minutes. Cette même année, il se rend en Union soviétique, au Mexique, en Colombie et à Cuba.

En mars 1973, aux élections parlementaires, l’Unité populaire obtient 45 p. 100 des voix et renforce sa présence au Parlement. Les mesures promues par les Yankees aux deux chambres pour destituer le président se terminent sur un fiasco. L’impérialisme et la droite intensifient leur lutte sans quartier contre le gouvernement de l’Unité populaire et déclenchent le terrorisme dans le pays.

De 1971 à 1973, je lui ai écrit six lettres manuscrites confidentielles, en tout petits caractères et avec un stylo à plume fine, où j’ai abordé dans la plus grande discrétion des questions que je jugeais intéressantes. Je lui écrivais le 21 mai 1971 :

« Nous sommes émerveillés des efforts extraordinaires que tu consens et de l’énergie illimitée que tu déploies pour confirmer et consolider la victoire.

« On peut constater d’ici que le pouvoir populaire gagne du terrain malgré votre mission difficile et complexe.

« Les élections du 4 avril ont constitué une victoire splendide et encourageante.

« Ton courage et ta fermeté, ton énergie mentale et physique ont été essentiels pour mener la Révolution de l’avant.

« De grandes difficultés de toutes sortes vous attendent assurément et auxquelles vous devrez faire face dans des conditions qui ne sont pas précisément idéales, mais une politique juste, soutenue par les masses et appliquée avec décision, ne peut être battue. »

Le 11 septembre 1971, je lui avais écrit :

« Le porteur vient traiter avec toi des détails de la visite.

« Envisageant un vol direct éventuel de Cubana de Aviación, nous avons analysé au départ l’utilité d’atterrir à Arica et de commencer la visite par le Nord. Deux faits nouveaux sont alors apparus : l’intérêt dont Velazco Alvarado t’a fait part d’un contact éventuel durant mon voyage chez toi ; la possibilité de disposer d’un avion soviétique IL-62 à plus grande autonomie de vol qui permet, si l’on veut, de gagner directement Santiago du Chili.

« Je t’envoie un schéma de la tournée et des activités pour que tu ajoutes, supprimes ou introduises les modifications que tu jugeras pertinentes.

« Je me suis efforcé de penser uniquement à ce qui peut présenter un intérêt politique, sans beaucoup m’inquiéter du rythme ou de l’intensité du travail, mais tout dépend absolument de tes critères et appréciations.

« Nous nous sommes beaucoup réjoui des succès extraordinaires de ton voyage en Equateur, en Colombie et au Pérou. Quand aurons-nous à Cuba la possibilité de rivaliser avec les Equatoriens, les Colombiens et les Péruviens et de te t’entourer d’autant d’affection et de chaleur ?

Au cours de ce voyage, dont j’avais proposé le plan à Allende, j’ai échappé à la mort par miracle. J’y ai fait des dizaines de kilomètres devant des foules énormes situées de chaque côté de la route. La CIA étasunienne avait organisé trois attentats pour m’assassiner durant ce voyage. Lors d’une conférence de presse annoncée d’avance, l’une des caméras de télévision vénézuélienne était équipée d’armes automatiques et manœuvré par des mercenaires cubains entrés dans le pays avec des passeports vénézuéliens. Mais ils n’ont pas eu le courage d’appuyer sur la gâchette tout le temps qu’a duré la longue conférence de presse et que leur caméra me visait. Ils ne voulaient pas courir le risque de mourir. Ils m’avaient en plus poursuivi à travers tout le Chili, mais l’occasion de m’avoir si près et si vulnérable ne s’est jamais plus présentée. Je n’ai pu connaître les détails de cette action lâche que bien des années plus tard. Les services spéciaux des Etats-Unis étaient allés plus loin que ce que nous pouvions imaginer.

J’ai écrit à Salvador le 4 février 1972 :

« Tout le monde a accueilli ici la délégation militaire du mieux possible. Les Forces armées révolutionnaires leur ont consacré pratiquement tout leur temps. Les rencontres ont été amicales et humaines. Le programme, intense et varié. J’ai l’impression que ce voyage a été positif et utile, qu’il est possible de continuer ces échanges et que ça en vaut la peine.

« J’ai parlé avec Ariel de ton idée de voyage. Je comprends parfaitement que le travail intense et le ton du combat politique de ces dernières semaines ne t’ont pas permis de l’envisager à la date approximative que nous avions évoquée là-bas. Il est incontestable que nous n’avions pas pris en considération ces éventualités. Ce jour-là, à la veille de mon retour, alors que nous dînions en pleine nuit chez toi et que j’ai constaté que le temps nous manquait et que les heures défilaient, je me suis rassuré en pensant que nous retrouverions à relativement brève échéance à Cuba où nous aurions la possibilité de converser longuement. J’espère toutefois que tu pourras envisager ta visite avant mai. Je signale ce mois-là, parce qu’au plus tard à la mi-mai, je dois me rendre, toutes affaires cessantes, en Algérie, en Guinée, en Bulgarie, dans d’autres pays et en URSS. Ce long voyage me prendra un temps considérable.

« Je te remercie beaucoup des impressions dont tu me fais part sur la situation. Ici, nous sommes tous toujours plus familiarisés avec le processus chilien, intéressés et émus ; nous suivons avec beaucoup d’attention les nouvelles qui en proviennent. Nous pouvons mieux comprendre maintenant la chaleur et la passion que la Révolution cubaine a dû susciter dans les premiers temps. On pourrait dire que nous vivons notre propre expérience à l’inverse.

« Je peux apprécier dans ta lettre le magnifique état d’esprit, la sérénité et le courage avec lesquels tu es disposé à faire face aux difficultés. Et c’est fondamental dans toute Révolution, surtout quand elle se déroule dans les conditions extrêmement complexes et difficiles du Chili. Je suis rentré extraordinairement impressionné par les qualités morales, culturelles et humaines du peuple chilien et par son notable vocation patriotique et révolutionnaire. Il t’est échu le privilège singulier d’être son guide à ce moment décisif de l’histoire du Chili et de l’Amérique, en tant que couronnement de toute une vie de lutte, comme tu l’as dit au stade, consacrée à la cause de la révolution et du socialisme. Aucun obstacle n’est invincible. Quelqu’un a dit que dans une révolution, il faut avoir de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace. Je suis convaincu de la profonde vérité de cette maxime. »

J’ai écrit de nouveau au président Allende le 6 septembre 1972 :

« Je t’ai adressé un message sur différentes questions à travers Beatriz. Après son départ, et à l’occasion des nouvelles de la semaine dernière, nous avons décidé d’envoyer le compañero Osmany pour te ratifier notre disposition à collaborer à tout, et tu peux donc nous faire connaître par son intermédiaire la façon dont tu juges la situation et tes idées au sujet du voyage prévu ici et dans d’autres pays. Le prétexte du voyage d’Osmany sera une inspection de l’ambassade cubaine, mais sans la moindre publicité. Nous voulons que son séjour soit le plus bref et le plus discret possible.

« Les points que tu as soulevés à travers Beatriz sont déjà en marche…

« Bien que nous comprenions les difficultés actuelles du processus chilien, nous avons confiance que vous trouverez la manière de les surmonter.

« Tu peux absolument compter sur notre coopération. Reçois un salut fraternel et révolutionnaire de nous tous. »

Le 30 juin 1973, nous avons adressé une invitation officielle au président Salvador Allende et aux partis de l’Unité populaire à assister aux festivités pour le vingtième anniversaire de l’attaque de la caserne Moncada.

Je lui ai écrit dans une lettre à part :

« Salvador

« Il s’agit d’une invitation officielle, formelle, aux commémorations du vingtième anniversaire. Ce serait formidable que tu puisses faire un saut à Cuba à cette date. Tu peux imaginer la joie, la satisfaction et l’honneur que ce serait pour les Cubains. Je sais toutefois que ça dépend plus que tout de ton travail et de la situation là-bas. Nous le laissons donc à ton jugement.

« Nous vibrons encore de la grande victoire révolutionnaire du 29 et du rôle brillant que tu y as personnellement joué. De nombreux obstacles et difficultés persisteront, c’est logique, mais je suis sûr que cette première épreuve réussie stimulera et consolidera la confiance du peuple. A l’échelle internationale, les événements ont eu beaucoup de répercussion et on les juge comme une grande victoire.

« En agissant comme tu l’as fait le 29, la révolution chilienne sortira victorieuse de n’importe quelle épreuve, si dure qu’elle soit.

« Je te répète que les Cubains sont à tes côtés et que tu peux compter sur tes fidèles amis de toujours. »

Je lui ai envoyé la dernière lettre le 29 juillet 1973 :

« Cher Salvador

« Carlos et Piñeiro se rendent là-bas sous prétexte de discuter avec toi de questions relatives à la réunion des pays non alignés. Leur objectif réel est de s’informer auprès de toi de la situation, et de t’offrir comme toujours notre disposition à coopérer face aux difficultés et aux dangers qui entravent et menacent le processus. Leur séjour sera très bref, car ils ont ici beaucoup de choses à faire et nous avons décidé de ce voyage malgré les sacrifices qu’il implique à cet égard.

« Je constate que vous en êtes à la question délicate du dialogue avec la démocratie-chrétienne au milieu de graves événements, comme le brutal assassinat de ton aide de camp naval et la nouvelle grève des camionneurs. J’imagine donc la grande tension qui existe et ton désir de gagner du temps, d’améliorer le rapport de force au cas où la lutte éclaterait et, si possible, de trouver une voie qui permette la poursuite du processus révolutionnaire sans guerre civile, tout en préservant ta responsabilité historique face à ce qui pourrait arriver. Ce sont là des objectifs louables. Mais au cas où l’autre partie, dont nous ne sommes pas en mesure d’ici d’évaluer les intentions réelles, s’obstinerait dans une politique perfide et irresponsable et exigerait un prix impossible à payer pour l’Unité populaire et la Révolution, ce qui est d’ailleurs assez probable, n’oublie pas une seconde la formidable force de la classe ouvrière chilienne et le soutien énergique qu’elle t’a apporté à tous les moments difficiles : elle peut, à ton appel face à la Révolution en danger, paralyser les putschistes, conserver l’adhésion des indécis, imposer ses conditions et décider une fois pour toutes, le cas échéant, de la destinée du Chili. L’ennemi doit savoir qu’elle est sur ses gardes et prête à entrer en action. Sa force et sa combativité peuvent faire pencher la balane dans la capitale en ta faveur, même si d’autres circonstances étaient défavorables.

« Ta décision de défendre la révolution en faisant preuve de fermeté et d’honneur jusqu’au prix de ta vie, ce dont tout le monde sait que tu es capable, entraîneront à tes côtés toutes les forces capables de combattre et tous les hommes et toutes les femmes digne du Chili. Ton courage, ta sérénité et ton audace à cette heure historique de ta patrie et surtout, ta direction exercée d’une manière ferme, résolue et héroïque, sont la clef de la situation.

« Fais savoir à Carlos et à Manuel ce à quoi nous, tes loyaux amis cubains, nous pouvons coopérer.

« Je te réitère l’affection et la confiance illimitée de notre peuple. »

Cette lettre date d’un mois et demi avant le coup d’Etat. Les émissaires étaient Carlos Rafael Rodríguez et Manuel Piñeiro.

Pinochet avait eu des entretiens avec Carlos Rafael. Il avait feint une loyauté et une fermeté semblables à celle du général Carlos Prats, commandant en chef de l’armée durant une bonne partie du gouvernement de l’Unité populaire, un militaire digne que l’oligarchie et l’impérialisme acculèrent à une crise totale au point qu’il dut démissionner de son poste et qui fut assassiné plus tard en Argentine par les sbires de la DINA après le putsch fasciste de septembre 1973.

Je me méfiais de Pinochet depuis le moment où j’avais lu les livres de géopolitique dont il m’avait fait cadeau pendant ma visite au Chili et où j’avais remarqué son style, ses déclarations et les méthodes qu’il avait appliquées comme chef de l’armée quand les provocations de la droite obligèrent le président Allende à décréter l’état de siège à Santiago du Chili. Je me souvenais des mises en garde de Marx dans Le 18 Brumaire.

Bien des chefs militaires de l’armée et leurs états-majors voulaient converser avec moi partout où j’allais, et faisaient preuve d’un intérêt notable pour notre guerre de libération et les expériences de la Crise des missiles, d’octobre 1962. Nos réunions duraient parfois jusqu’au petit matin, le seul moment de la journée disponible pour moi. J’avais accepté pour aider Allende, afin de leur faire comprendre que le socialisme n’était pas l’ennemi des institutions armées. Pinochet, comme chef militaire, ne fut pas une exception. Allende jugeait ces rencontres utiles.

Il meurt en héros le 11 septembre 1973, en défendant le palais de la Monnaie, se battant comme un lion jusqu’à son dernier souffle.

Les révolutionnaires qui résistèrent sur place à l’assaut des fascistes ont raconté des choses fabuleuses sur ces derniers moments. Les versions ne coïncident pas forcément, parce que chacun luttait d’un endroit différent du palais. Par ailleurs, certains de ses plus proches collaborateurs moururent ou furent assassinés à la fin d’un dur combat livré dans des conditions désavantageuses.

La différence entre les témoignages consiste en ce que les uns affirment qu’Allende a réservé ses dernières balles pour lui-même pour ne pas tomber prisonnier, tandis que, pour d’autres, il a été abattu par les balles ennemies. Le palais était en flammes à cause des tirs des chars et des avions, alors que les auteurs du putsch avaient pensé que ce serait une besogne facile qui ne se heurterait à aucune résistance. Il n’y a pas de contradiction entre ces deux manières de faire son devoir. Nos guerres d’indépendance offrent plus d’un exemple de combattants illustres qui, se retrouvant sans la moindre possibilité de défense, s’ôtèrent la vie plutôt que de tomber prisonniers.

Il reste encore bien des choses à dire sur ce que nous étions prêts à faire pour Allende. Certains ont écrit à ce sujet. Mais ce n’est pas là l’objectif que je poursuis dans ces lignes.

Il était né voilà cent ans, jour pour jour. Son exemple restera.

Fidel Castro Ruz

26 juin 2008

18h34



Intervention de Maruja PARRA Présidente de la FEDACH-FRANCE

Je suis heureuse de m’adresser à vous dans cette circonstance solennelle, où nous fêtons en quelque sorte l’anniversaire du Président Salvador ALLENDE. À ceci près que c’est un anniversaire en son absence, par défaut, ou par contumace, comme on dit en justice. Un hommage par contumace. Et ce dur mot nous ramène à une réalité difficile à occulter. Salvador ALLENDE, présidente légitime du Chili est mort parce que nous l’avions choisi pour cette responsabilité_ la responsabilité SUPREME, comme on dit.

SUPREME, c’est la dernière. Il n y en avait plus, après celle-là. Et il la prise comme nous la lui avons donnée, simplement, avec confiance, et surtout avec une très grande loyauté.

En tant que présidente de la FEDACH, la Fédération des Associations Chiliennes en France, je me sens un peu la porte du peuple chilien en France, de celui qui a contribué à élire le Docteur ALLENDE à la présidence de la République du Chili, du peuple qui a subit après sa mort des violences qui se sont déchaînées au Chili, la peur, la souffrance et l’exil.

Le fait que la communauté chilienne en France soit organisée, soit en grande partie fédérée, signifié quelque chose. Cela signifie sa volonté d’exister démocratiquement, organiquement, fraternellement, ici en France. Cela prouve que notre action est marquée par la profonde conviction, d’accomplir le devoir de con server et de transmettre, aux nouvelles génération les principes qui nous ont guidés sur le chemin vers le rêve de PLUS D’HUMANITE, LIBERTE, JUSTICE ET FRATERNITE, dont était porteuse l’Unite Populaire que nous la devons principalement à un homme, hors du commun, Salvador ALLENDE GOSSENS.
En son absence, par défaut, ou par contumace, comme on dit en justice. Un hommage par contumace. Et ce dur mot nous ramène à une réalité difficile à occulter. Salvador Allende, président légitime du Chili, est mort parce que nous l’avions choisi pour cette responsabilité — la responsabilité SUPREME, comme on dit.

SUPREME, c’est la dernière. Il n’y en avait plus, après celle-là. Et il l’a prise comme nous la lui avons donnée, simplement, avec confiance, avec sérénité, et surtout avec une très grande loyauté.

En tant que présidente de la fedach, la fédération des associations chiliennes en France, je me sens un peu la porte parole du peuple chilien en France de celui qui a contribué à élire le Docteur ALLENDE à la présidence de la République du Chili,du peuple qui a subit après sa mort, des violences qui se sont au Chili, la peur, la souffrance et l’exil.

Le fait que la communauté chilienne en France soit organisé en grande partie fédérée, signifie quelque chose.

Cela signifié sa volonté d’exister démocratiquement, organiquement, fraternellement ici en France. Cela prouve que notre action est marquée par la profonde conviction d’accomplir le devoir de conserver et de transmettre aux nouvelles générations les principes qui nous ont guidés sur le chemins vers le rêve de PLUS D’HUMANITE , LIBERTE, JUSTICE ET FRATERNITE, dont était porteuse l’Unité Populaire, que nous la devons principalement à un homme, hors du commun , SALVADOR ALLENDE GOSSENS

Merci

CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE SALVADOR ALLENDE ASSEMBLÉE NATIONALE, 26 JUIN 2008

Compte Rendu de la réunion à l'Assemblée Nationale du 26 juin 2008


Paulina Enríquez, maître de cérémonie, a accordé la parole aux différents intervenants.


Henri Emmanuelli, député socialiste des Landes, a pris la parole en premier. Après avoir indiqué que ses obligations ne lui laissaient guère de temps, il expliqua pourquoi il tenait à être présent à cet hommage. Dans son intervention sont soulignées les caractéristiques inédites de l’expérience du gouvernement d’Allende pour conduire le Chili par la «voie chilienne» au socialisme, dans un monde en pleine guerre froide, et valorisé l’héritage d’Allende plein de leçons pour les générations à venir.

Étrangement, le texte lu par le parlementaire français ressemble mot pour mot à un texte mis en ligne dans ce blog depuis le lundi 3 mars 2008. La surprise de l’auteur, présent dans la salle, et la nôtre, collaborateurs du site, a été de taille. Néanmoins notre ego, faut-il le reconnaître, fut flatté par cet emprunt, et nous remercions l’assistant parlementaire pour le choix du texte.


Jean-Paul Huchon a tenu à s’associer également à cette cérémonie. Pour cela, il a quitté la séance de la session d’été du Conseil régional d’Ile-de-France (IDF), dont il est Président. Il a évoqué la mémoire d’Allende en se souvenant de la journée du 11 septembre 1973 qui l’avait surpris à Santiago alors qu’il visitait le Chili, au sein d’une délégation de la jeunesse du PSU venue pour connaître de près l’expérience politique en cours. Il a signifié à quel point la figure d’Allende et l’expérience de la «voie chilienne» au socialisme, ont suscité des vocations politiques parmi les actuels hommes politiques français.

M. Huchon a mentionné la coopération de la Région IDF avec un quartier de Santiago ainsi que sa participation financière, à hauteur de 50%, au musée Salvador Allende, ce qui lui donne des occasions de contacts et de voyages réguliers au Chili (NdR : le musée Allende a été inauguré le jour même par Michelle Bachelet à Santiago).

Il a aussi souligné que, ce qu’il appelle la «tension» entre les deux tendances politiques à l’intérieur de l’Unité Populaire, est aujourd’hui très présente au sein du Parti socialiste Français et de la gauche en général. A savoir, a-t-il précisé, la polémique entre la tendance prônant la consolidation des avancées et celle qui privilégie l’accélération des changements (NdR : la première position soutenue par Allende, le Parti communiste , le Parti Radical, des fractions du Parti socialiste et du MAPU (1), et la seconde par les autres secteurs du MAPU, du Parti socialiste avec son secrétaire général et le MIR (2)).


Finalement, M. Huchon a constaté l’actualité d’Allende parmi les jeunes générations, en prenant comme exemple le fait que son fils prépare un livre sur le Président chilien.


Fernando Valenzuela, responsable du Parti communiste du Chili en France, a pour sa part rappelé la vocation révolutionnaire d’Allende, son indéfectible confiance dans les masses, ainsi que sa ferme intention de toujours avancer, mais seulement en accord avec elles.

Il a souligné les signes de fidélité qui ont marqué les relations entre le Parti communiste et Allende, depuis 1952, jusqu’à constituer le principal appui politique du gouvernement de l’Unité Populaire.

En rappelant les massives luttes sociales menées actuellement au Chili, le représentant du Parti communiste a constaté que le manque de volonté politique des autorités actuelles pour modifier la Constitution héritée de la dictature pinochetiste, y compris au moyen d’un plébiscite, bloque toute évolution vers l’élargissement de la démocratie ainsi que le solde de la dette sociale de la plupart de la population. Il a dénoncé en particulier le maintien de la loi binominale qui marginalise le pouvoir législatif de larges couches populaires (y compris des Chiliens éparpillés de par le monde), et paralyse les réformes indispensables pour améliorer les conditions de vie des travailleurs.

Pour finir il a rappelé que l’exemple des idéaux d’Allende et l’expérience de l’Unité Populaire étaient repris par d’autres peuples et gouvernements en Amérique Latine et que l’engagement du Parti communiste reste «celui du combat pour la création d’un monde meilleur. Celui dont rêvait Salvador Allende».

Maruja PARRA, Présidente de la FEDACH (Fédération des Associations Chiliennes en France), se dit heureuse, en cette circonstance solennelle, de rendre hommage à Salvador Allende, même si cette cérémonie se tient «par contumace ». Salvador Allende, ajoute-t-elle, est mort parce que les Chiliens l’avaient choisi pour la magistrature suprême, «avec confiance et loyauté ». En tant que présidente de cette fédération, elle affirme se sentir «un peu la porte-parole du peuple chilien en France », peuple qui a subi après la mort de son Président, violences, peur, souffrance et exil. Elle tient à souligner que le fait que la communauté chilienne en France soit organisée, et en grande partie fédérée, montre «sa volonté d’exister démocratiquement, organiquement, fraternellement.»

Mme Parra précise que l’action de la FEDACH est marquée par sa profonde conviction de la nécessité morale de conserver, et aussi de transmettre aux générations futures, les principes «qui nous ont guidés sur le chemin vers le rêve de plus d’humanité, liberté, justice et fraternité dont était porteuse l’Unité Populaire ». Elle termine en déclarant que les Chiliens en sont redevables «principalement à un homme, hors du commun, Salvador Allende Gossens.»

C’est avec émotion que Jacques Fath, responsable des relations internationales du Parti communiste Français et membre du Comité Exécutif, a rappelé l’importance que représente pour les luttes en France l’exemple chilien, en impulsant une révolution démocratique dans l’unité des forces de gauche. Un exemple dont l’actualité reste entière (et de laquelle la France a grand besoin), et que l’on retrouve dans plusieurs processus en cours en Amérique Latine, a-t-il souligné. Ces gouvernements progressistes sont, a t-il affirmé, en train de modifier le rapport de forces dans cette région et dans le monde et de montrer que des alternatives sont possibles pour faire face au capitalisme.

Il a manifesté l’intérêt dans les diverses formes de gestion alternative qui surgissent en Amérique Latine

Le responsable communiste a précisé le fait que, pour Allende, démocratie et socialisme étaient inséparables. La démocratie pour Allende était aussi bien un moyen qu’un but ultime.

Il a assuré que c’est cette démarche démocratique et participative que l’on retrouve à des degrés divers dans les gestions des pays en Amérique Latine, l’adoption de nouvelles constitutions en étant l’une des meilleures preuves.

M. Fath a affirmé que «contrairement à cette vision qui fait qu’une certaine gauche, un peu partout dans le monde, préfère l’alternance à une véritable alternative au capitalisme» et se limite au rôle d’administratrice du système en place, le but d’Allende était de procéder à des transformations essentielles de la société pour construire une nouvelle légalité (le système socialiste) au service des intérêts populaires.

Il a également proposé à l’actuel gouvernement du Chili de rétablir les droits des peuples originaires, comme un hommage à S. Allende. Il s’est aussi prononcé contre le maintien de la loi binominale «qui exclut toute possibilité d’une représentation respectueuse du pluralisme» et qui écarte «de manière injuste les communiste s chiliens de la représentation parlementaire».

D’après lui, le Mercosur et la Banque du Sud sont actuellement, en Amérique Latine, deux entités qui développent les idées émancipatrices et d’intégration de S. Allende.

Il a rappelé que dans les années 70, par l’imposition de dictatures dans presque tous les pays d’Amérique Latine, les Etats-Unis voulaient en finir avec les volontés de changement des peuples. Aujourd’hui le retour conséquent des forces de progrès, dans cette région, fait naître un énorme espoir partagé par les progressistes du monde entier, a-t-il ajouté.

Il a constaté que «la convergence de nos luttes, la recherche partagée de nouvelles propositions pour des nouvelles alternatives au capitalisme, la création d’espaces de rencontre ouverts à toutes les forces progressistes sont à l’ordre du jour ». «Il s’agit d’une exigence pour nous tous qui voulons une autre société, conquérir des droits nouveaux, inventer des formes de démocratie inédites tant au plan national qu’au plan européen ou mondial» a-t-il souligné.

M. Fath a terminé avec ces mots : «Salvador Allende a été un homme qui a su voir la possibilité réelle d’un changement révolutionnaire par la démocratie et la liberté. Il fut un homme de son temps, capable d’inventer et de rendre possible une idée nouvelle».

Danilo Aravena, ancien Secrétaire d’Etat à la Jeunesse du gouvernement d’Allende et membre du Comité Central des Jeunesses socialistes sous la dictature, s’est déplacé depuis Madrid pour assister à cette commémoration. Il a retracé la vie politique d’Allende depuis son adolescence, en s’arrêtant sur les grands moments décisifs de son parcours. Ainsi sont ressorties son alliance avec le Parti communiste en 1951 à l’occasion de sa première candidature présidentielle (en 1952), sa volonté d’unité matérialisée dans la création du FRAP (3) pour affronter les élections de 1958, l’influence de la Révolution cubaine et sa troisième tentative de gagner les joutes électorales en 1964. Il a largement développé tant les réussites que les difficultés du gouvernement de l’Unité Populaire. Il a remémoré les grandes réalisations telles que la réforme agraire, la nationalisation du cuivre, les progrès dans les domaines éducatif, médical, civique, etc, sans oublier le développement de la «conception plus nette de la sécurité nationale» aux dires de Carlos Prats (5). En rappelant les actuelles difficultés des Chiliens dans tous les domaines sensibles de leur vie, «plus que jamais soumise à l’implacable exploitation de quelques consortiums nationaux et internationaux », l’intervention de l’ancien Secrétaire s’est terminée par un appel à la lutte pour «ouvrir véritablement les Grandes Avenues vers» ce que les Français résument dans la formule «Liberté, Egalité, Fraternité».

Armando Uribe Echeverria, Président du Parti socialiste chilien en France, a commencé son intervention en affirmant que «le Parti socialiste du Chili que je représente en France n’est plus que l’ombre du Parti de Salvador Allende». Et qu’il se devait envers la mémoire d’Allende d’employer «la franchise et la vérité sur la réalité politique chilienne d’aujourd’hui».

Il a ensuite développé deux aspects de la doctrine politique de S. Allende : son patriotisme et son légalisme.

Concernant le premier aspect, il souligne le profond attachement d’Allende à la réalité nationale qui dicte les mesures nécessaires qui doivent être prises indépendamment de la tendance politique du gouvernement en place. Cette connaissance de la réalité et cet impératif de changement montrent que «la gauche, en tant que représentante du peuple, est la représentante légitime de la nation» a-t-il déclaré. Ce patriotisme s’est aussi révélé, a t-il continué, lors de la dénonciation de l’interventionnisme des Etats-Unis pendant la campagne présidentielle en faveur de la Démocratie Chrétienne et au moment de son ultime combat dans le palais de la Monnaie pour défendre l’intérêt national contre le coup d’Etat, manifestation des intérêts étrangers.

Le deuxième trait développé par le responsable socialiste est le légalisme qui a conduit Allende à développer sa thèse de la «voie chilienne vers le socialisme », «la voie étant simplement celle des urnes », ce qui représentait un grave danger pour la domination américaine dans le contexte de guerre froide. Il a tenu à préciser que le processus engagé dans le Chili d’Allende se rapprochait beaucoup moins de celui des pays socialistes que de celui des démocraties d’Europe Occidentale. Il a souligné la tentative d’instaurer au Chili un «pacte républicain» qui a été effacé par l’ingérence étrangère et le manque de patriotisme de certains.

Le Président du Parti socialiste a ensuite constaté l’état de crise dans lequel se trouve le Chili actuel dans le cadre d’une transition négociée en secret avec les militaires. Crise d’abord politique qui touche tous les partis existants, y compris le Parti socialiste, dont «ses électeurs comme ses militants ont de plus en plus de mal à le reconnaître comme socialiste », a-t-il ajouté. Crise économique ensuite, illustrée par la concentration de la rente, l’effroyable taux d’endettement des ménages, les taux de crédit usurier qui dépassent les 52%, la privatisation dans tous les domaines à commencer par l’éducation et la santé. Crise également institutionnelle en approfondissant le modèle économique et maintenant la Constitution héritée de Pinochet. Le Président du Parti socialiste a déclaré que cet ordre institutionnel injuste favorise l’application de lois répressives envers les Mapuches, ainsi que l’impunité des responsables politiques qui ont cautionné le coup d’Etat, le maintien de l’arbitraire loi binominale et le déni du droit de vote aux Chiliens de l’étranger.

M. Uribe, en constatant la mort politique du modèle de transition chilien, a fait un appel aux forces vives de la nation pour instaurer une nouvelle charte constitutionnelle. Finalement, de manière solennelle, il a demandé «au nom et en souvenir du président Salvador Allende », que soit renouvelé «le pacte suprême des citoyens libres, en demandant la réunion d’urgence d’une Assemblée Constituante».

Pour notre part, nous voulons invoquer l’image de Salvador Allende, en cette année du centenaire de sa naissance, à travers l’un des traits les plus indélébiles de son action politique : son souci permanent de donner une dimension éthique à toute activité politique.

Nous pensons que cette attitude constitue, ou devrait constituer, une ligne de conduite qui permettrait, non seulement de nous distinguer, nous hommes et femmes de gauche, de nos adversaires politiques, mais plus encore serait la dimension essentielle sans laquelle on ne peut pas être porteur des valeurs de progrès, ni prétendre aspirer à créer un monde plus juste.

Le prestige et la stature d’Allende, qui traversent les décennies, sont basés sur le respect sans restriction de valeurs morales qui lui ont dicté sa conduite politique.

Le meilleur hommage que peuvent lui rendre ceux qui se disent admirateurs et continuateurs de son œuvre est d’avoir et d’essayer de maintenir la même honnêteté morale dont a fait preuve, tout au long de sa vie, le Président Salvador Allende.


J. C. Cartagena et Nadine Briatte.


(1) MAPU : Mouvement d’Action Populaire Unitaire

(2) MIR : Mouvement de Gauche Révolutionnaire

(3) FEDACH : Fédération des Associations Chiliennes en France

(4) FRAP : Front d’Action Populaire

(5) Général en chef des Forces Armées chiliennes jusqu’au 23 août 1973.

dimanche 29 juin 2008

Intervention de Danilo Aravena Ross

Centenaire de la naissance de Salvador Allende
Assemblée Nationale, 26 juin 2008

Intervention de Danilo Aravena Ross

Si l’on m’a invité a à participer à cet acte commémoratif du centenaire de la naissance du président du Chili Dr. Salvador Allende Gossens, c’est, je présume, en raison de ma longue appartenance au Parti Socialiste du Chili et peut-être aussi parce que j’ai eu l’honneur de connaître et de travailler aux côtés du Président, dans ma jeunesse, en occupant certaines responsabilités politiquez et gouvernementales. Je dois donc commencer par remercier nos amis du Parti Socialiste français et les organisations françaises et chiliennes ici présentes, ainsi que mes camarades du Parti Socialiste du Chili en France, qui me font le plaisir d’évoquer dans cette grande maison de la démocratie française le souvenir d’un personnage d’une qualité morale et d’une dimension historique évidentes.

On a beaucoup écrit sur la vie de Salvador Allende, et ce n’est probablement pas fini, de même que les chercheurs continueront à publier des analyses critiques ou favorables sur les 1042 jours de sa présence historique à la tête de l’Etat et du Gouvernement chiliens. J’essaierai pour ma part de ne pas vous ennuyer avec des faits et des chiffres que vous connaissez sans doute déjà, mais de m’en tenir à quelques épisodes de sa carrière politique, en soulignant les choix faits par lui et qui dessinent la trajectoire du dirigeant politique, du parlementaire et de l’homme d’Etat —du citoyen, en somme— fidèle à des principes pour lesquels il a accepté de mourir.

L’intérêt d’Allende pour les revendications sociales s’est manifesté vers 1927, alors qu’il avait 19 ans, et qu’il fut élu président du syndicat des étudiants en médecine puis, vers 22 ans, lorsqu’il devint le vice-président de la Fédération des Etudiants de l’Université du Chili, la principale université du pays, fédération qui a joué un rôle considérable dans les luttes sociales au Chili. Vers l’âge de 15 ou 16 ans, un modeste cordonnier anarchiste d’origine italienne avait fait sa première éducation politique en lui prêtant des livres et en lui parlant de liberté et de justice, mais ce fut dans ses années d’université qu’Allende lut les classiques du marxisme et les écrits de Trotsky, qui contribuèrent très tôt à l’éloigner du stalinisme.

Un des événements qui marqueront durablement la vie d’Allende comme celle de beaucoup de Chiliens fut la fondation du Parti Socialiste du Chili en avril 1933, à laquelle il participa. Il en deviendra rapidement un des principaux dirigeants et occupera en 1943-1944 les fonctions de Secrétaire Général du parti.

Il est élu député à l’âge de 29 ans. Il participe activement à la campagne présidentielle de la gauche chilienne, unie dans un Front Populaire, qui culminera avec l’élection à la présidence de Pedro Aguirre Cerda, qui le nomme ministre de la Santé. C’est dans ces fonctions qu’il accueillera les milliers de républicains espagnols qui ont cherché refuge au Chili comme dans d’autres pays de l’Amérique latine. En 1945 il est élu au Sénat et s’oppose vigoureusement à la mise hors-la-loi dont fait l’objet le Parti Communiste du Chili à la demande de Washington, en ces débuts de Guerre Froide. De très nombreux dirigeants et militants communistes sont à l’époque mis derrière les barreaux et, souvent, même, assassinés.

Tout en apportant tout son appui au Parti Communiste, Allende souligne dès cette époque que les principes qui guident le Parti Socialiste sont fondés sur un l’humanisme et le respect absolu des droits de l’homme et des libertés citoyennes. Il déclare en 1948 :

« Nous, socialistes chiliens, qui reconnaissons bien des réalisations de la Russie soviétique, nous nous opposons à son organisation politique, qui l’a conduite à l’existence d’un parti unique. Nous ne pouvons pas non plus accepter toutes les lois qui, dans ce pays, entravent et nient la liberté des individus et proscrivent des droits de la personne humaine que nous considérons comme inaliénables. »

Ce choix critique à l’égard de l’URSS aurait conduit n’importe où ailleurs à une déchirure de la gauche. Au Chili, au contraire, et probablement grâce à la fermeté et à la clarté des positions, elle conduisit à une alliance lorsqu’en 1951, Allende et certains secteurs socialistes dissidents — en rupture avec un parti qui avait choisi d’appuyer la candidature à la présidence d’un général aux tendances séditieuses— se sont associés aux communistes encore dans la clandestinité pour présenter la candidature d’Allende aux élections, où il obtint près de 52 000 voix. Au-delà de la modestie du résultat, je voudrais retenir que, fidèle à ce qu’il avait déclaré dès 1944 en tant que Secrétaire Général du Parti, Allende place le PS le cœur de l’unité politique de la gauche. En 1944 il avait dit : « Nous socialistes, nous appelons la gauche à s’unir autour d’un programme que nous défendrons dans la rue comme au parlement, un programme d’intérêt national, qui réunira le plus grand nombre de bonnes volontés. »

En 1956, cette volonté d’unité se matérialise par la création du FRAP, le Front d’Action Populaire, qui présente sa candidature aux élections présidentielles de 1958 — élections qu’il perd avec une mince différence de 33 000 voix, face à son adversaire.

Je voudrais à ce propos souligner qu’avant le triomphe de la révolution cubaine, et dans le contexte bipolaire d’alors, la gauche chilienne était déjà devenue une alternative politique sérieuse, ce qu’ont compris les administrations nord-américaines successives qui ont ordonné à leurs agences d’intervenir dès lors systématiquement dans la politique chilienne.

En 1964 Allende se présente pour la troisième fois consécutive aux élections présidentielles. Cette fois encore il les perd en faveur d’Eduardo Frei, candidat de la démocratie chrétienne soutenu par la politique d’ « Alliance pour le Progrès » lancée par le président Kennedy en direction de l’Amérique Latine. Mais les promesses d’aide américaine ne se concrétisèrent pas, et Frei ne se montra pas capable de résoudre les graves problèmes et carence dont souffre le peuple chilien.

En 1970 Allende est enfin élu à la présidence de la République et entre au palais de la Moneda en entraînant dans sa suite un mouvement populaire inédit, auquel il ouvre les portes de l’histoire. C’était la première fois qu’un marxiste arrivait aux commandes d’un Etat et d’un gouvernement au moyen d’élections démocratiques, avec une coalition qui réunissait, comme il le disait lui-même, « des marxistes, des laïcs et des chrétiens. »

Le monde entier a suivi avec intérêt les réussites et les difficultés vécues alors par Allende et la gauche chilienne réunie dans l’Unité Populaire lors de ces 1042 jours. Dans ce lointain pays au sud de notre planète, notre peuple choisissait d’écrire son histoire en peuple libre et souverain, avec une sérénité non dénuée d’énergie, avec une volonté inédite de dialogue, cherchant les accords et les consensus sans que jamais cela s’apparentât à un quelconque renoncement aux engagements pris à l’égard des travailleurs, des organisations sociales et des citoyens en général.

La mise en place immédiate d’un plan de nationalisation des secteurs clés de l’économie chilienne (sidérurgie, ciment, industries textiles et banques) ont clairement indiqué que le gouvernement de l’Unité Populaire allait tenir ses promesses. En toute logique, les multinationales, tout comme l’oligarchie terrienne, les industriels et les banquiers ont entrepris immédiatement de s’opposer à ces mesures, au parlement mais aussi en entreprenant des actions de sabotage industriel, en organisant l’accaparement des denrées alimentaires et en bloquant les transports.

Cela ne fit pas céder pour autant le gouvernement. Nous voyions, chaque jour, des milliers d’hommes et de femmes proposer leur aide, en participant à un tissu social chilien très riche et qui se renforçait d’autant plus qu’ouvriers, employés, paysans, techniciens, femmes au foyer et étudiants constataient qu’ils avaient de véritables perspectives de développement démocratique, de justice et de liberté.

Le gouvernement réalisa la réforme agraire, qui a libéré des milliers de paysans d’une situation de semi servage qu’ils vivaient depuis des siècles, et a fait d’eux des citoyens à part entière. Mais le fait le plus significatif fut sans aucun doute, 11 juillet 1971, la nationalisation du cuivre, un des facteurs déterminants de l’économie chilienne d’alors comme d’aujourd’hui. « Le cuivre est le salaire du Chili » selon la formule du président Allende. Cet acte politique transcendantal, approuvé à l’unanimité par le Congrès chilien, entraîna un blocus économique à l’initiative des Etats-Unis qui, couplé aux manœuvres de déstabilisation d’abord secrètes puis ouvertes déclenchées depuis la Maison Blanche, ont fini par convaincre les militaires chiliens d’intervenir, d’en finir avec le système démocratique et de liquider au prix du sang les organisations politiques et sociales qui soutenaient Allende.

Nombreuses furent les pressions et les ingérences auxquelles fut soumis Salvador Allende. Il fur fidèle, cependant, à ce que l’Unité Populaire s’était proposée lors de sa fondation en Décembre 1969 :

« Notre futur gouvernement ne sera pas celui des nantis. Je veux le dire franchement, honnêtement : nous se servirons pas de caution pour les nantis. Nous ne servirons pas de caution pour les intérêts du capital impérialiste qui exploite, intrigue, corrompt et freine le développement de notre pays. Nous servirons pas de caution aux propriétaires terriens ni à l’oligarchie bancaire ni aux potentats du capitalisme qui exercent au Chili le véritable pouvoir, sans qu’ils aient jamais été élus, sans doute, par le peuple. Nous servirons de caution à la majorité. Avec la même franchise nous disons que le gouvernement de l’Unité Populaire sera le garant de l’écrasante majorité de la population, de plus de 90 % de la population chilienne. »

Et il fut loyal avec ses promesses. Les droits civiques furent assurés, les services médicaux et l’éducation furent notoirement améliorés, l’accès aux prestations sociales garanti, l’accès à la culture, au sport, à un habitat plus digne, fut promu et mis en place depuis le premier jour de son gouvernement.

J’étais jeune, à l’époque, et je me souviens tout spécialement l’attention portée par le Président à la participation de la jeunesse dans la mise en place de toutes les mesures sociales promues par le gouvernement, et l’importance qu’il accordait à ce que des jeunes militants de gauche nous assumions des responsabilités dans les différentes instances de l’Administrations et de l’Etat.

Je ne puis oublier les Forces Armées, qui furent aussi au cœur des préoccupations du Président non seulement comme un possible éléments déstabilisateur mais aussi comme une instance nécessaire à l’unité et à l’identité nationale. Le général Carlos Prat, qui sera assassiné par la suite, devait écrire dans ses mémoires :

« Lorsqu’on écrira sereinement l’histoire du Chili des dernières 40 années, on devra reconnaître que le gouvernement qui a eu la conception la plus nette de la sécurité nationale et qui montra, de fait, le plus grand intérêt pour les problèmes liés à la défense nationale fut, précisément, le gouvernement d’Allende. Il est de toute évidence le seul Président du Chili à avoir articulé les intérêts de la sécurité nationale avec une conception cohérente de la « souveraineté géo-économique » qu’il comprit et fit sienne. »

Mesdames, Messieurs,, camarades, permettez-moi avant de conclure de vous lire un bref passage d’une lettre que notre prix Nobel de littérature Pablo Neruda, ambassadeur d’Allende à Paris entre 1971 et 1973 écrivit à Allende avec cette simplicité magnifique dont sont capables les poètes :

« Salvador, je t’ai accompagné dans tes déplacements dans tous les recoins du Norte Chico. Ensemble, nous avons partagé le meilleur des pains, pétri pour toi par les paysannes de Pahiguano. Nous sommes allés ensemble à Monte Grande, là où les vallées d’Elqui se rejoignent. En haut tout n’est que pierre, murs de roche et épines. En bas, les eaux chantent et les bourgeons s’animent. Mais bien plus imposant que la nature, plus prometteur que les vallées vertes, silencieux et ardent sont nos gens, nos Chiliens et nos Chiliennes, nos paysans oubliés et nos mineurs du Norte Chico. Tu n’oublieras jamais, Salvador, ni moi non plus, ceux qui descendaient des collines avec un petit drapeau pour venir te saluer ; ni les milliers de femmes qui remplissaient la place de Vicuña ce soir-là, entourées de leurs enfants aux pieds nus. Elles étaient venues de partout et se trouvaient là, protagonistes fermes et sûres du délaissement et de l’espérance du peuple. »

En fêtant aujourd’hui le centenaire de sa naissance, comme en commémorant en septembre les faits funestes qui l’empêchèrent de mener jusqu’au bout le mandat que la loi et les citoyens lui avaient confié, on rappelle à notre mémoire la noble figure du président Allende, comme cela sera encore fait pendant longtemps dans différents endroits du monde.

Au Chili, où l’on doit bien admettre qu’on a retrouvé la démocratie et que, formellement, le pays répond aux critères communs aux pays libres, les hommes et les femmes qui furent au centre des préoccupations du Président Allende continuent à souffrir de difficultés d’éducation, de santé, d’habitat, de sécurité sociale, de transports, et aujourd’hui, cette population est plus que jamais soumise à l’implacable exploitation de quelques consortiums nationaux et internationaux.

Nous Chiliens devrons encore nous battre pour ouvrir véritablement les Grandes Avenues vers ce que vous, Français avez résumé en en offrant la formule à l’humanité : Liberté, Egalité, Fraternité. C’est pourquoi il est plus que jamais temps de reprendre le slogan : « Allende, présent maintenant et pour toujours. »

Discours du Président du Parti socialiste du Chili en France, (PSCH),

Intervention d’Armando Uribe Echeverría

PRESIDENT DU PARTI SOCIALISTE DU CHILI EN FRANCE


J’ai le dangereux privilège de clore cette commémoration au nom du Parti de Salvador Allende, le Parti Socialiste du Chili.
Privilège dangereux parce que bien des choses ont été dites par tous les orateurs qui m’ont précédé et que je dois éviter de les répéter.
Dangereux également parce que le Parti Socialiste du Chili que je représente en France n’est plus que l’ombre du Parti de Salvador Allende, et qu’il faudra que je m’en explique devant vous.
Dangereux, enfin, parce que je dois à la mémoire de Salvador Allende, en ce jour anniversaire, la franchise et la vérité sur la réalité politique chilienne d’aujourd’hui.
Mais avant d’en arriver là, permettez-moi de revenir sur la personne de Salvador Allende en rappelant un ou deux aspects de sa doctrine politique sur lesquels on n’insiste, à ma connaissance, jamais assez.

*

La première caractéristique que je voudrais souligner est ce qu’il faut bien appeler le constant patriotisme dont a fait preuve, jusqu’au bout, Salvador Allende.
C’est d’abord la réalité chilienne, la réalité concrète, constatable, issue de l’histoire propre de ce territoire et du peuple qui l’habite qui l’intéresse. Les conditions de vie de ce peuple, qu’il connaît en médecin, sont à la base de son engagement — comme elles étaient, et le parallèle est intéressant, à la base de l’engagement politique de ce grand homme d’Etat français, médecin aussi, George Clemenceau. Dans un discours au parlement datant de 1937, juste après le triomphe du Front Populaire aux élection législatives, Allende proclamait :

« Le Chili est une masure, une seule et grande masure qui abrite un seul malade : tout le peuple chilien. (…) Ce peuple a besoin d’une législation qui soit appliquée intégralement, et qui descende jusqu’aux substrats les plus profonds des maux sociaux dont il pâtit ; d’une législation qui en finisse une fois pour toutes avec l’agiotage et la spéculation et rompe avec l’indifférence du Gouvernement devant tous les grands problèmes d’intérêt national qui étranglent les classes moyennes et tous les secteurs capables de propulser le pays vers le progrès. »

Cet attachement à l’intérêt national opposé à l’intérêt d’un secteur de la population est sans doute un héritage de la Révolution Française dont les idées républicaines avaient été introduites au Chili au milieu du XIXe siècle par Santiago Arcos — qui avait vécu avec enthousiasme les journées révolutionnaires de 1848 à Paris.
Allende le réaffirmera en 1944, lorsqu’il définit le but ultime du travail de la gauche comme « la conquête du bien-être et de la grandeur du Chili ». La gauche, en tant que représentante du peuple, est la représentante légitime de la nation.

Lorsqu’il perd, de peu, les élections présidentielles de 1958, Allende persiste dans cette même ligne et, dans un discours au Sénat, il parle d’un des grands thèmes de sa campagne, la réforme agraire, non comme d’un impératif idéologique, mais comme d’une nécessité à laquelle aucun parti, aucun gouvernement ne peu se soustraire.

«J’avais un intérêt tout particulier, en étant le candidat des partis populaires, à proposer au pays la réforme agraire. Cette réforme est un fait social et économique qu’on ne peut éluder. Je le propose en homme responsable, qui a étudié, avec ses compagnons, cette question à fond : nous sommes convaincus que l’économie du Chili réclame une réforme agraire ; et que la réalité sociale de notre pays l’exige. J’ai répété à satiété que nous dépensons des millions de dollars pour importer des aliments que nous pouvons produire, et j’ai proposé cette réforme parce que je connais, en tant que médecin, les déficits alimentaires dont souffre la population.»

Dès lors, l’indépendance économique et la justice sociale allaient devenir les leitmotiv d’Allende et du Parti Socialiste chilien.

Pendant les années du gouvernement d’Eduardo Frei Montalva, Allende dénonça à de multiples reprises le poids de l’Amérique du Nord — aujourd’hui parfaitement avéré — dans la campagne présidentielle de 1964 et l’influence américaine qui avait privé de toute substance la « révolution en liberté » que s’était proposé de mener à bien la jeune et prometteuse Démocratie Chrétienne. Lorsqu’en 1970 il accède à la présidence de la République, Allende subira brutalement, jusqu’au Coup d’État, dont ce fut la manifestation ultime, cette présence étrangère qui s’élevait conte l’intérêt général, l’intérêt national. Sa mort dans la Moneda en flammes est l’expression finale du lien solide qui l’unissait à la nation.

*

La deuxième caractéristique de la doctrine d’Allende que je voudrais relever, et qui va de pair avec la première, c’est son indéfectible légalisme, qu’il a défendu envers et contre tous. C’est ce qui le conduisit à concevoir cette révolutionnaire « voie chilienne vers le socialisme » — la voie étant simplement celle des urnes —, qui a paru si dangereuse aux Américains dans le contexte de la Guerre froide mais qui a fini par s’imposer comme un fait normal en démocratie à partir des années 80 en Europe.
Cela m’amène à dire un mot d’une idée qui est une évidence dans tout pays du premier monde, et qui paraît cependant si difficile à comprendre ou à mettre en place en Amérique Latine.
A l’inverse de ce qu’on entend d’habitude, sous l’influence d’une propagande insistante et facile, l’accession au pouvoir de Salvador Allende en 1970 correspondait beaucoup moins à un rapprochement du Chili avec le bloc soviétique — je vous rappelle en passant que l’Union Soviétique ne se porta pas du tout au secours du gouvernement d’Allende —, mais bien davantage au rapprochement du Chili, institutionnellement parlant, avec les pays d’Europe occidentale.
Jamais auparavant — ni jamais depuis — un Gouvernement n’a été aussi près de réussir à imposer au pays les éléments essentiels de ce qu’on pourrait appeler un Pacte Républicain, c’est-à-dire un pacte entre tous les secteurs politiques de la société pour assurer une éducation publique de qualité, un système de santé accessible à tous, des logements décents, bref, un minimum social de la meilleure qualité possible afin d’assurer l’avenir du pays, l’avenir son développement, son enrichissement et l’épanouissement de ses citoyens.

L’influence étrangère, le manque de patriotisme — c’est-à-dire le défaut d’identification à une terre, à un peuple, à une histoire — ont fait que cette chance qu’a eu le Chili de franchir l’obstacle culturel qui sépare, avant tout, le premier monde du reste de la planète, a été perdue.

*

Le Chili d’aujourd’hui, après 17 ans d’une dictature impitoyable et 19 ans de gouvernements qui gèrent avec de plus en plus de difficultés une transition négociée avec les militaires et les groupes économiques qui les soutenaient, ce Chili traverse une crise grave.

Une crise politique, d’abord, qui touche tous les partis, sans exception, de la droite jusqu’à la gauche : les partis implosent, se scindent, expulsent, se fractionnent — de nouvelles formations surgissent, sans véritable colonne vertébrale, partis « instrumentaux » comme on dit, devant servir à porter au pouvoir des personnes plutôt que des idées ou des programmes.

J’insiste sur le fait que cette crise atteint tout le spectre politique, au point que non seulement des dirigeants des partis se querellent entre eux — ce qui somme toute est normal — mais que des secteurs entiers des partis, comme les jeunesses, par exemple, ne se sentent plus représentées par leur direction et s’opposent à elle ou, directement, abandonnent les partis.
A droite, c’est une lutte sans merci pour la conquête du pouvoir ; au centre et à la droite de la gauche, c’est un modèle politique, celui de la Concertation, qui semble ne plus fonctionner ; à gauche de la gauche, c’est le désordre, la dispersion en une multitude de groupuscules, l’incapacité à former des alliances.

Je disais en commençant que le Parti Socialiste, le parti d’Allende, n’échappe pas à cette crise et reste figé dans une position telle que ses électeurs comme ses militants ont de plus en plus de mal à le reconnaître comme socialiste. J’en veux pour seul exemple ces quelques mots, que je voudrais citer :

« Nous avons défendu et nous défendons la démocratie, mais cela ne nous empêche pas d’observer que le Chili est soumis, en ce moment, dans une des crises les plus profondes de son histoire. Cette crise est si profonde qu’elle touche tous les domaines : économique, politique, institutionnel et moral.
Nous n’avons eu aucune influence décisive au gouvernement et nous n’avons occupé que des ministères subalternes, sans aucune possibilité d’intervenir dans les grands choix économiques de la nation.

Nous, socialistes, avons quitté le gouvernement lorsque nous avons vu l’impossibilité de conduire une politique positive en faveur du pays, en faveur du peuple et de ses classes laborieuses. Nous avons quitté l’Exécutif lorsque nous nous sommes aperçus que nos efforts au gouvernement étaient stériles et mal interprétés, et que nos initiatives étaient étouffées par la droite économique, qui continue à contrôler à elle seule le crédit et les finances. »

Qui parle ? Salvador Allende en 1947, après que les socialistes se furent retirés du deuxième gouvernement du Front Populaire, celui de Juan Antonio Ríos.

Toutes proportions gardées, le parallélisme des situations est stupéfiant. Et la réponse nette, précise, compréhensible apportée à cette situation par Salvador Allende et par le Parti Socialiste d’alors contraste de manière criante avec celle du Parti Socialiste d’aujourd’hui face aux difficultés.

La crise n’est pas que politique, elle est également économique. Ce n’est pas que le Chili, dans les grands équilibres macro-économiques qui est malheureusement l’unique boussole des économistes qui gouvernent le monde, soit malade, non. La maladie économique du Chili réside dans la non redistribution des richesses, dans l’endettement effrayant des ménages, qui payent tout, jusqu’au beurre, à crédit, à des taux d’usure qui dépassent aujourd’hui les 52% ! Tout ce qui était privatisable l’ayant été, tout est éminemment payant, à commencer par l’éducation et par la santé.

L’éducation publique est dans un état d’agonie, les étudiants et les écoliers étaient l’année dernière dans la rue et le sont encore cette année, et en sont réduits à occuper les locaux des partis politiques — ceux du Parti Radical, ceux du PPD l’ont été, ceux du Parti Socialiste l’ont été encore une fois il y a quelques jours, par les Jeunesses Socialistes — et là, encore, les dirigeants de Parti de Salvador Allende se sont contentés d’appeler les carabiniers à la rescousse, envoyant les jeunes militants en prison.

La crise actuelle est aussi une très profonde crise institutionnelle, dont proviennent la crise politique et la détresse économique dont je viens de parler. La transition de la dictature à la démocratie s’est faite, en 1989 à la condition expresse que la légalité instaurée par la dictature et le schéma économique imposé restassent inchangés.

Cet accord — conclu en secret, évoqué de temps à autre, y compris par ceux qui l’ont scellé, n’a jamais été publié. Le Chili vit donc, depuis 1989 avec une constitution dessinée sur mesure pour Pinochet et votée en 1980 dans des conditions inacceptables : en pleine dictature, avec un million de Chiliens exilés de force, des dizaines de milliers en prison, des milliers des dirigeants politiques et syndicaux disparus dans les geôles, sans listes électorales, et alors que les garanties constitutionnelles étaient suspendues.

Nous subissons encore aujourd’hui un ordre institutionnel inique et des lois de sécurité nationale dont il est inadmissible qu’elles puissent être appliquées en démocratie, comme celles qui servent à réprimer le peuple Mapuche, dont les prudentes revendications n’empêchent pas le Gouvernement d’emprisonner les dirigeants et même, depuis quelques semaines, d’emprisonner une cinéaste, Elena Varela, pour le délit d’avoir tourné un documentaire sur leurs luttes.

Nous subissons enfin, cet accord tacite, secret, qui fait que si grâce au courage des magistrats un certain nombre de militaires ont fini par être traduits en justice pour des atteintes aux droits de l’homme, les responsables politiques de la dictature, les idéologues et tous les précieux soutiens des militaires — qui ont cautionné le coup d’Etat et cautionné toutes les trahisons et toutes les horreurs — restent impunis.

Ce cadre constitutionnel et juridique hérité des militaires comporte bien d’autres injustices sur lesquelles je ne peux pas m’étendre ici, comme le déni du droit de vote aux Chiliens de l’étranger (alors que nous représentons quelque 8% de la population) ou encore un système de vote, le fameux système binominal, qui assure systématiquement à l’opposition de droite une représentation importante dans les deux chambres.

*

Il faut prendre acte aujourd’hui de la mort d’un modèle politique, celui de l’interminable transition qu’une alliance de partis, la Concertation, voudrait prolonger encore, sans voir qu’elle risque elle-même de disparaître dans une tourmente incontrôlable qui peut à n’importe quel moment se déchaîner — et qu’aucun d’entre nous, quelles que soient nos opinions ou nos choix politiques, ne pouvons souhaiter.

En tant que citoyens responsables nous devons prendre les choses en main et appeler toutes les forces vives de notre pays à demander une nouvelle charte constitutionnelle qui assure équitablement à tous les Chiliens, quelle que soit leur origine sociale, un avenir possible.

J’appelle solennellement ici, dans cette enceinte où nous ont invités nos amis français — et je voudrais remercier ici très chaleureusement Messieurs Henri Emmanuelli et Jean-Paul Huchon—, dans cette enceinte qui est le symbole de la démocratie, qui est le symbole de la République, au nom et en souvenir du président Salvador Allende, à renouveler le pacte suprême des citoyens libres, en demandant la réunion d’urgence d’une Assemblée Constituante.