mardi 1 juillet 2008

Intervention de Jacques Fath



Intervention de Jacques Fath Responsable des Relations internationales du PCF, Membre du Comité exécutif, 26 juin 2008


Mesdames, Messieurs, chers amis,

Ce centenaire est d'une grande importance pour vous, progressistes chiliens, car il s'agit d'une page d'espoir mais aussi d'une page tragique de votre histoire. Une page pleine d'émotion mais aussi d'enseignements.

C'est important pour vous et pour nous à la fois car c'est un grand moment de solidarité fraternelle et humaine. Nous nous souvenons.. .Je n'en dis pas plus.

Enfin, c'est quelque chose d'important car l' expérience Allende c'est celle d'une révolution démocratique et ce besoin de révolution démocratique dans l'unité des forces de gauche nous le ressentons profondément dans la France d'aujourd'hui. Ce n'est évidemment pas que le besoin du seul peuple français...

En préparant cette intervention, je me suis plongé dans les premiers discours de Salvador Allende et j’ai pu constater à quel point sa conception de l’action politique et de la transformation sociale restent à l’ordre du jour. Elle est d’une grande actualité dans nos réflexions sur le projet politique de la gauche et elle l’est aussi, d’une manière très concrète, dans l’action des gouvernements progressistes de l’Amérique Latine.

Ces expériences en cours nous intéressent pour plusieurs raisons : parce qu’elles sont en train de changer les rapports de forces politiques dans cette région et dans le monde mais aussi parce qu’elles nous montrent que des alternatives pour contrer le système capitaliste et ses modes de gestion sont possibles. Nous avons besoin de faire grandir cet espoir en France et en Europe.

Trente-cinq ans après le coup d’Etat qui a mis fin à cette révolution démocratique que fut le gouvernement populaire, nous constatons ces avancées des forces progressistes dans toute l’Amérique Latine. Les gouvernements élus depuis une dizaine d’années sont en train de faire revivre les projets d’indépendance, de démocratie, de progrès social et d’unité qui furent ceux de Salvador Allende.

Je suis ici pour vous exprimer notre intérêt pour toutes ces expériences en cours en Amérique Latine et notre solidarité avec elles. Je suis ici aussi, naturellement, pour rendre hommage à celui qui a rassemblé les forces populaires de son pays pour tenter un changement révolutionnaire par la voie démocratique. Il a fallu la violence d’un coup d’Etat orchestré par les Etats-Unis et un groupe d’officiers félons pour l’arrêter. Ce coup d'Etat criminel a ouvert la voie en Amérique Latine à la mise en place d’une contre révolution qui a touché tout le Cône Sud et qui a décimé les forces progressistes.

Ché Guevara lui avait fait cadeau de son livre «La guerre des guérillas» avec une dédicace : «A Allende qui, par d’autres moyens, essaye d’arriver au même but».

Pour Allende, la démocratie et le socialisme étaient inséparables : la démocratie à la fois comme moyen et comme but ultime. Dépasser l’ordre existant sans avoir recours à la violence en avançant, avec la volonté du peuple, au fur et mesure que le niveau de mobilisation et de conscience le permettait.

Le socialisme d’Allende n’est pas celui d’un parti guide. Il est commandé par la volonté souveraine du peuple.

Le Chili de l’Unité Populaire fut marqué par le respect et l’extension des droits des travailleurs, leur participation à la définition des politiques économiques à tous les niveaux, dans les organismes d’Etat et dans les conseils d’entreprise et dans les comités de production.

Il appelait les travailleurs à s’investir dans l’effort productif pour renfoncer l’économie et pour assurer au peuple chilien un avenir sans inégalités ni pauvreté.

Nous pouvons voir aujourd’hui comment cette démarche qui fut la sienne est reprise dans les changements en cours en Amérique Latine, où l’adoption des nouvelles Constitutions fait partie de la bataille pour le changement. La démocratie participative est expérimentée au Brésil et au Venezuela. Elle est au centre du débat politique en Bolivie et en Equateur.

Allende ne se voulait ni caullido, ni messie. Il se considérait comme «un militant du socialisme qui a compris que la possibilité pour le peuple de triompher résidait dans l’unité».

Je ne suis pas le président de tous les Chiliens disait–t-il, parce que «je ne suis pas le président des trafiquants, des spéculateurs, des mercenaires ou des assassins».

Il n’a pas voulu être l'homme providentiel mais le Président de l’Unité Populaire ayant la conscience des antagonismes et de l’inéluctable affrontement avec les intérêts puissants, des classes dominantes, et avec l’impérialisme.

La voie démocratique signifiait alors non pas le simple succès électoral mais la vision d’un «long et dur chemin» qui devait conduire à l’émancipation. Une voie au socialisme «par la démocratie, le pluralisme et la liberté».

Contrairement à cette vision qui fait qu’une certaine gauche, un peu partout dans le monde, préfère l’alternance à une véritable alternative au capitalisme et accepte de jouer le rôle du «bon gestionnaire», Salvador Allende a fait le choix de ne pas s’installer confortablement dans les institutions existantes.

Pour lui, qui a dû commencer son mandat sans majorité parlementaire, «s’adapter à la réalité concrète» ne signifiait pas renoncer aux buts révolutionnaires du mouvement populaire chilien, c'est-à-dire la fin de l’oppression et la mise en question des relations sociales fondées sur l’exploitation.

L’Etat devait être efficace, moderne mais il devait aussi être transformé en un Etat révolutionnaire et juste.

Dépasser l’ordre existant exigeait des changements substantiels du pouvoir politique et économique en s’appuyant sur les mécanismes institutionnels en vigueur pour construire une nouvelle légalité et l’embryon d'instititutions futures au service des intérêts populaires.

La justice sociale s’est traduite par une sécurité sociale pour tous les chiliens, l’accès au logement décent, la lutte contre l’extension des bidonvilles et un effort en faveur de l’amélioration de la situation de l’emploi.

La dictature a détruit toutes ces conquêtes et, nos amis progressistes chiliens pourront le confirmer, aujourd’hui encore le Chili est très loin du niveau de protection sociale de cette époque. Les droits syndicaux, le droit aux conventions collectives sont toujours au cœur des luttes des travailleurs.

Concernant la démocratie je voudrais dire ceci : le Chili d’aujourd’hui, son parlement, pourraient rendre hommage au président Salvador Allende en reconnaissant la nécessité de la justice pour le peuple Mapuche, en lui rendant ses droits en tant que peuple originaire. Vous connaissez sa vision du problème : il considérait que les lois chiliennes les traitaient «comme des enfants» et il pensait que la réforme agraire, le droit à la terre ne pouvaient régler, seuls, un problème qui a des implications culturelles, historiques et anthropologiques.

Sur cette question de la démocratie, je pense à l’attachement de Salvador Allende au pluralisme et au multipartisme. Je voudrais évoquer la nécessité de mettre fin au système électoral binominal hérité du pinochetisme qui exclut toute possibilité d’une représentation respectueuse du pluralisme et qui exclut de manière injuste les communistes chiliens de la représentation parlementaire.

En Uruguay, en Equateur et au Venezuela ces droits sont à nouveau des conquêtes populaires rendues possibles avec les nouveaux gouvernements. Au Brésil, où le président Lula ne bénéficie pas d’une majorité parlementaire, ces droits restent une des principales revendications de la Centrale Unitaire des Travailleurs.

Salvador Allende a rendu au peuple chilien la maîtrise sociale des ressources naturelles. Le cuivre a été nationalisé, ainsi que la production de l’acier, du charbon. La production des textiles et les télécommunications ont aussi été nationalisés. Ces mesures qui devaient permettre au Chili de se donner les moyens du développement économique et social exigé par la population ont été un coup dur pour les transnationales des Etats-Unis et pour les classes dominantes chiliennes. Nous retrouvons ce même courage, montré par le gouvernement de l’Unité Populaire, dans la volonté politique des gouvernements de Hugo Chavez, d’Evo Morales, de Raphaël Correa.

La fin de la dépendance était quelque chose de central dans le projet d’Allende. Mettre fin à cette forme de domination passait par l’affirmation des valeurs et de l’unité des peuples latino-américains, par la revendication de l’autodétermination et de la non–ingérence, l’élargissement et la complémentarité des marchés.

Aujourd’hui, les pays de l’Amérique du Sud font avancer une intégration régionale fondée sur des projets de développement, sur la prise en compte des asymétries, la coopération dans le domaine de l’énergie et des infrastructures. La Banque du Sud a été créée ouvrant la possibilité d’une coopération financière qui favorisera l’émancipation vis-à-vis du FMI et de la Banque Mondiale.

Les pays du Mercosur ainsi que la Bolivie et l’Equateur rejettent les conditions avancées par l’Union Européenne pour la signature d’accords d’association peu différents des traités de libre échange proposés par les Etats-Unis. Sur ce terrain aussi, les conceptions défendues par Salvador Allende restent encore vivantes.

En assassinant Salvador Allende et en noyant dans le sang l’expérience de l’Unité populaire, la dictature pinochetiste et les Etats-Unis ont cru pouvoir mettre fin aux aspirations des peuples à un changement de société. Ils ont réussi au Chili et dans toute l’Amérique Latine à mettre en place des contre réformes, à imposer le modèle néolibéral. Ils ont cru que les peuples avaient accepté l’idée de l’impossibilité d’autres voies que le capitalisme sauvage.

Le retour en force des forces progressistes, le rejet par les peuples des politiques dites du Consensus de Washington est aujourd’hui en train de changer le visage de tout un continent.

L'immense espoir qui naît dans cette région du monde est partagé par les progressistes du monde entier. La convergence de nos luttes, la recherche partagée de nouvelles propositions pour des nouvelles alternatives au capitalisme, la création d’espaces de rencontre ouverts à toutes les forces progressistes sont à l’ordre du jour. Il s’agit d’une exigence pour nous tous qui voulons une autre société, conquérir des droits nouveaux, inventer des formes de démocratie inédites tant au plan national qu’au plan européen ou mondial.

Salvador Allende a été un homme qui a su voir la possibilité réelle d’un changement révolutionnaire par la démocratie et la liberté. Il fut un homme de son temps, capable d’inventer et de rendre possible une idée nouvelle.

Je parlais du retour des idées de progrès que Salvador Allende a défendu, de la manière dont elles se concrétisent à nouveau. Et je pense à une de ses dernières phrases prononcées pendant l’attaque des putchistes contre le Palais présidentiel : «Allez de l'avant sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société meilleure.»

Oui, les grandes avenues sont à nouveau ouvertes. Des hommes et femmes sont partout en quête de liberté et d’émancipation.