dimanche 20 septembre 2015

LE PONT SALVADOR-ALLENDE BAPTISÉ DANS L’ÉMOTION

INAUGURATION DU PONT SALVADOR-ALLENDE À NARROSSE 

« Je me souviens de ce matin de poudre et de sang, ce maudit 11 septembre 1973 où commence pour nous la mort, l'exil et la solitude. Jusqu'au moment du coup d'État, je n'étais qu'une simple sympathisante de gauche, issue du milieu lycéen. Mais ce mardi a déterminé à jamais mon engagement pour la justice et la liberté. »

L'amour, puis le drame

Au fur et à mesure qu'elle évoque ses souvenirs,
avec parfois des sanglots dans la voix, le silence devient poignant. Chacun a conscience de vivre un moment rare. « Ce jour-là, je n'avais pas cours et j'étais restée à la maison. Lorsque j'ai ouvert la fenêtre de ma chambre, j'ai vu mon père dans le jardin, assis comme quelqu'un qui souffre. Un poste de radio à la main, il m'a dit de ne pas bouger et d'écouter «El Chicho», le nom affectueux que nous donnions à notre président. “Il va s'adresser à nous, et c'est peut-être la dernière fois”. » Désobéissant aux consignes données par son père, Yazmin intègre le mouvement de la gauche révolutionnaire. C'est là qu'elle fait la connaissance de celui qui deviendra son mari. « J'avais souvent des contacts avec le même camarade. C'est quelqu'un qui me troublait. J'aimais un peu trop son regard, ses mains, ses longs cheveux, son humour. Ma vie devenait un volcan en pleine ébullition. J'étais une militante passionnée et voilà que maintenant j'étais une jeune fille follement amoureuse ! Nous nous sommes mariés le 6 octobre 1975, mais un mois et demi plus tard, la police secrète de Pinochet a arrêté Humberto. »

Yazmin décide de se rendre à la morgue, regarde les fiches des cadavres non-identifiés et découvre le corps allongé de son mari avec celui de son ami, Herman Carrasco, étudiant en journalisme de 28 ans. « Je tournais autour de lui, je ne voulais pas le quitter. Je ne sais pas à quel moment le médecin légiste m'a demandé de sortir. Quelques jours plus tard, le 22 décembre, j'étais à Paris, j'avais juste 18 ans. Ce jour-là, a commencé pour moi un nouveau combat, celui de la mémoire. »

Tendre la main

Après des études à Bordeaux, Yazmin se reconstruit. « J'ai appris à aimer la vie, grâce à la solidarité du peuple français. Ici, j'ai appris à être heureuse et à travailler avec passion, sans jamais oublier mon pays et le peuple chilien, sans jamais m'écarter du combat politique ni des valeurs humanistes de notre camarade. Merci Salvador Allende. » Un long silence prolonge son intervention, puis un interminable moment d'applaudissements se déclenche. Gabriel Bellocq, maire de Dax et représentant du Conseil départemental, lui succède. « Yazmin, vous n'êtes pas là par hasard. Aujourd'hui, je pense aux Chiliens réfugiés dans notre pays. La France est une terre d'accueil et il est facile de faire un parallèle avec ce que nous vivons actuellement. Notre devoir est de tendre la main. C'est l'honneur de la France. »

Philippe Malizard, le sous-préfet de Dax, évoque les 11 septembre de l'histoire. Celui de 1973 bien sûr, celui de 2001, mais aussi ceux de la naissance de Ronsard et de Bachar el-Assad. La cérémonie prend fin. L'heure est à la révélation de la plaque du pont que les automobilistes ont découvert dès hier matin.

Merry Chivot