mardi 27 juin 2017

QUAND ALLENDE SAUVAIT LES COMPAGNONS D'ARMES DU CHE

Nous sommes en 1967, et le "Che" vient de mourir assassiné en Bolivie, le 9 octobre. Ses compagnons d'armes cherchent un refuge, un asile. Episode méconnu, c'est au Chili qu'ils vont le trouver, grâce à l'intervention du leader de gauche chilienne Salvator Allende. Il va aller jusqu'à accompagner les guérilleros à Tahiti, où ils seront remis aux autorités françaises, avant d'être envoyés à Cuba.

Largement oublié, ce chapitre de l'histoire de Salvador Allende montre bien la situation difficile, tant sur un plan personnel que politique, de celui qui a tenté la transition vers le socialisme en respectant les institutions et la démocratie.
Après s’être cachés durant quatre mois dans la forêt vierge bolivienne, les trois rescapés du combat de la "Quebrada del Yuro", le 8 octobre 1967, ont un seul objectif: rentrer à Cuba le plus rapidement possible. L'exportation de la lutte armée en Amérique du sud a du plomb dans l'aile, et l'idée première des Cubains, à savoir d'installer la guérilla sur le continent, est abandonnée. Les fugitifs ne peuvent ni passer par le Pérou, ni par l'Argentine ni même encore par le Brésil, où ils sont recherchés. Leur seule option : le Chili, et Salvador Allende, qui en plus d'être un ami du "Comandante" Guevara, préside l'Organisation latino américaine de solidarité (Olas), qui promeut et soutient les mouvements révolutionnaires dans la région.

Allende s'engage donc à aider les révolutionnaires en déroute: "C'est le moins que je puisse faire en mémoire de Guevara", expliquera-t-il plus tard. Mais le plan qui consistait à les récupérer à la frontière entre le Chili et la Bolivie échoue, malgré un dispositif important (100 personnes sont envoyées tout au long de la frontière pour les récupérer, parmi lesquels Beatriz Allende, fille et secrétaire de Salvador Allende). Les guérilleros rentrent tout de même au Chili, mais sont immédiatement arrêtés par les autorités locales, puis transférés à Santiago. Le Président de la République de l'époque, le démocrate chrétien Eduardo Frei Montalva, un anticastriste farouche, est sous un feu nourri de pressions contradictoires: d'un côté, la Bolivie veut l'extradition des Cubains pour les juger; de l'autre, la gauche chilienne soutient les compagnons de route du Che. Allende organise alors une campagne de presse de grande envergure. Finalement, le gouvernement Frei cède, et accepte d'envoyer les révolutionnaires à Cuba.

Le Chili et la France, pays voisins

Reste à régler le problème du trajet de retour des guérilleros. Car aucun des pays voisins du Chili n'autorise leur avion à survoler ses terres. Ramon Huidobro, à l'époque Directeur de cabinet de Gabriel Valdez, ministre des Affaires étrangères de Frei, raconte la réunion où tout s'est joué : "A un moment, j'ai pris la parole pour expliquer que la seule solution était de remettre les guérilleros à la France, pays avec lequel le Chili avait une frontière commune. Tout le monde m'a regardé comme si j’étais fou, mais au final c'est mon idée qui a été retenue". Car si les deux pays semblent très éloignés, l'île de Tahiti et l'île de Pâques, rattachée au Chili, sont bien voisines. Le gouvernement chilien affrète donc un avion, et pour s'assurer de leur sécurité, Salvador Allende accompagne les guérilleros du Che jusqu'à Tahiti. Un voyage qui va lui coûter cher, "parce qu'il lui a ouvert un flanc de critique fort sur sa droite", explique un de ses anciens conseillers.

"Personne n'a jamais compris le geste humain de Salvador. Il n'a jamais subi d'attaques plus dures, les journaux l'accusaient d'avoir détruit le prestige du Sénat en s'affichant avec des guérilleros", dira plus tard sa femme, Hortensia Bussi. Car si Allende a toujours refusé la voie armée comme méthode politique pour accéder au pouvoir, son comportement envers les guérilleros fait tâche d'huile. La droite cherche à le faire destituer constitutionnellement, et l'opposition s'en donne à coeur joie. Allende, lui, ne s'en soucie guère, et si sa femme est "indignée par les réactions", lui, "fait des blagues, et rit de cette histoire".

"A Salvador, qui par d'autres moyens cherche à obtenir le même objectif"

Lors de sa première rencontre avec le Che à Cuba, peu de temps après la révolution des Barbus, Allende se voit offrir un livre par le révolutionnaire, son "Manuel de la Guérilla", avec cette dédicace: "A Salvador, qui par d'autres moyens cherche à obtenir le même objectif". Une dédicace qu'Allende exhibe avec fierté à ses proches, et révélatrice de ce combat idéologique qui fait rage au sein de la gauche sud-américaine des années 60: le fusil ou le bulletin de vote. Et s'il a lui opté pour un autre chemin, il se sent solidaire de ses camarades de lutte, même s'ils n'ont pas choisi les mêmes armes que lui. Allende accédera ainsi au pouvoir par les urnes, avant d'être renversé par les armes trois ans plus tard.

Thomas Huchon

SALVADOR ALLENDE ET DES PERSONNALITÉS

AFFICHES DE L'UNITÉ POPULAIRE



Les années de l'Unité Populaire ont été le point culminant d'une grande effervescence culturelle et militante au Chili. En témoignent les "murales", ces fresques peintes sur les murs des villes chiliennes qui font partie de la culture politique populaire et constituent un témoignage graphique irremplaçable. A voir absolument l'exposition virtuelle sur les arts graphiques Breve Imagineria Politica durant la période de l'Unité Populaire (fresques murales, affiches…) est en ligne sur le site en espagnol.

EL MUSEO DE LA SOLIDARIDAD SALVADOR ALLENDE

El Museo de la Solidaridad Salvador Allende reabre sus puertas en un sitio simbólico de la dictadura. Una renovación posible, en parte, gracias al apoyo de la región Isla de Francia.

En la entrada del museo, una escultura futurista, en plexiglás y neón, rinde homenaje a Salvador Allende. ¡Y le hace una buena morisqueta a la CNI! La policía secreta de la dictadura militar había instalado sus cuarteles en este mismo sitio, en el 475 de la calle República. En esta linda casa de los años 20, después de 35 años de tumultuosa historia, el museo encontró al fin su morada.

En 1971, un grupo internacional de artistas, entre los cuales Luís Aragón, se encuentran en Chile. En signo de solidaridad con la experiencia socialista, deciden donar entonces sus obras al país. En dos años, se recolectarán más de 700 obras. Algunos meses más tarde, el golpe de estado viene a truncar la experiencia. En fin, casi, ya que un poco en todas partes del mundo, artistas y exiliados chilenos se reagrupan para continuar la recolección de obras. En varios países se abren Museos de la Resistencia, y todos se comprometen a enviar las piezas a Chile una vez restablecida la democracia. Esto se realiza en 1990. El “Museo de la Solidaridad” renace de sus cenizas, bajo la administración del presidente Aylwin. Pero hace algunos años, la casa de la calle Herrera empezó a mostrar signos de vejez. De allí la decisión de cambiar el museo a calle República, a un edificio completamente renovado por el arquitecto Miguel Lawner.

Una colección de 2800 obras

Un proyecto de más de un millón de euros, que la región Isla de Francia ha financiado en un 40%. Este apoyo se inscribe en el marco de una cooperación de diez años entre la región Isla de Francia y la región Metropolitana de Santiago. Iniciada hace un año y medio con motivo de un encuentro entre Isabel Allende, la hija del extinto presidente, el proyecto interesa particularmente a Jean Paul Huchon, que vino especialmente a Santiago para la inauguración. El actual presidente socialista de la región parisina se encontraba en Santiago el 11 de septiembre de 1973, de visita con un grupo de estudiantes socialistas. “Para un militante de izquierda eso es un recuerdo imborrable. Para nosotros, ha habido Jaurès, Blum y Allende”, ha declarado Jean Paul Huchon.

El museo abarca ahora 1800 metros cuadrados. Por ahora, sólo 88 de las 2800 obras legadas por la Fundación Allende están expuestas al público. Estas muestran un verdadero panorama del arte contemporáneo mundial, de los años 1950 a los años 1980, de Joan Miró a Antoni Tapies, pasando por Pierre Soulages.

Emmanuelle Michel

CHILI PAYS SISMIQUE

Entre la violence sociale et la violence naturelle le parallèle n'est pas gratuit, chaque Chilien le sait ou le pressent. Les avions que ce jour-là ont fait trembler la ville de Santiago et exploser le Palais présidentiel ont très vite annoncé la conception sismique que Pinochet se faisait du pouvoir.
Palais de La Moneda en flammes

La terreur policière et la violence sismique bouleversent le lien social de la même manière. Proche, voisin, ami, les ponts sont coupés, chacun est seul face à un pouvoir aveugle. La dissolution du lien social est le premier objectif de la terreur policière. Le groupe n’est d’aucun secours, chacun est seul comme face à la mort. La société imite la nature dans sa gestion du désastre. Dans les deux cas, la violence est d’autant plus redoutable que les lois qui la régissent restent opaques. Quand ? Qui ? Pourquoi ? Personne n'en sait rien. Le pouvoir est arbitraire. Il peut s'exercer à l'improviste au milieu de la nuit, vous cueillir dans l'endroit le plus secret, personne n'est à l'abri, son onde de choc traverse les frontières. Les femmes et les hommes qui ont osé le braver finissent soit broyés par la machine soit rejetés de l’autre côté de l’ocean. Cette terreur aveugle génère à la longue une forme de fatalisme qui conduit à la passivité.

La mise en scène d'un pouvoir écrasant a frappé les esprits dès les premières heures du putsch. Le bombardement du Palais de la Moneda n'avait pas d'autre but, frapper le sommet de l'état dans la personne de Salvador Allende dont cette année nous commémorons le centenaire, mais surtout frapper les imaginations, en rejouant le scénario traumatique des tremblements de terre. Le pouvoir militaire devant être ressenti désormais comme une force tellurique contre laquelle il est impossible de lutter.

Le tremblement de terre qui fut le putsch du 11 septembre 1973 et l’instauration du premier modèle néo-libéral a marqué le pays en profondeur. En effet, c’est ce modèle imposé à feu et à sang qui est resté hégémonique jusqu'au jour d'aujourd’hui, et c’est en son nom que toutes les exactions du régime Pinochet ont été justifiées.

L’émergence d’un nouveau pouvoir économique, d’une nouvelle classe d’affaires proche du cercle étroit des militaires a pu ainsi s’épanouir sans contrepoids, sur une terre ravagée par la répression et tétanisée para la terreur. Dans le jargon cher aux économistes de l’époque, on a appelé ces séquelles le «coût social», terme qui recouvrait le chômage de masse, l’iniquité et l’arbitraire, mais aussi les morts, les disparitions, les tortures. En un mot l’ignominie.


La recherche et le jugement de coupables reste encore en attente. Le report du procès en France contre les responsables de la disparition des quatre français sous la dictature, nous inquiète, tout comme la fermeture du procès qui avait pour but l’éclaircissement de l’assassinat de Victor Jara à Santiago du Chili.

Un juge chilien a refermé jeudi le dossier du meurtre de Victor Jara mais la famille de ce chanteur engagé, tué il y a 35 ans sous la dictature d'Augusto Pinochet, a protesté parce qu'elle estime que tous les responsables n'ont pas été poursuivis. « C'est incroyable, je ne m'attendais pas à cela », s'est insurgée la danseuse britannique Joan Jara, veuve du chanteur. « Cela m'inquiète beaucoup qu'un cas aussi emblématique soit refermé de la sorte. Qu'adviendra-t-il des autres cas du stade du Chili de Santiago ? » Les avocats de la famille ont annoncé qu'ils feraient appel.

Une bonne nouvelle secousse à provoqué l’arrestation d’une centaine d'ex-agents de Pinochet.

Une centaine d'anciens soldats et membres de la police secrète d'Augusto Pinochet, la Dina, ont été arrêtés, lundi 26 mai 2008, au Chili, dans le cadre d'une enquête sur l'enlèvement et l'assassinat de quarante-deux personnes, au début de la dictature, au cours de l'opération Colombo. Un dossier pour lequel l'ancien dictateur avait perdu son immunité. Mort en 2006, Augusto Pinochet n'a jamais répondu de ses actes devant les tribunaux.

ALLENDE PAR ALLENDE


Je pense que l’homme du XXIème siècle doit être un homme qui ait une conception différente, une autre échelle de valeurs, un homme qui ne soit pas motivé essentiellement et fondamentalement par l’argent, un homme qui pense que pour la richesse existe une dimension différente, dans laquelle l’intelligence soit la grande force créatrice.


Salvador Allende.
J’appartiens à une famille qui a été présente dans la vie publique pendant beaucoup d’années. Mon père et mes oncles, par exemple, furent des militants du Parti Radical, lorsque celui-ci était un parti d’avant-garde. Ce parti est né les armes à la main, en luttant contre la réaction conservatrice. Mon grand-père, le docteur Allende Padin, sénateur radical, vice-président du Sénat, a fondé au siècle dernier (XIXème) la première école laïque du Chili. A cette époque il était, par ailleurs, sérénissime grand maître de l’ordre maçonnique, ce qui était plus dangereux que d’être militant du Parti Communiste aujourd’hui.

Bientôt, malgré mon appartenance à une famille de la moyenne bourgeoisie, j’ai abandonné la province, Valparaiso, et je suis venu étudier la médecine à Santiago. Les étudiants de médecine à cette époque avaient les prises de position les plus avancées. Nous nous réunissions pour discuter de problèmes sociaux, pour lire Marx, Engels, les théoriciens du marxisme.

Salvador Allende enfant

Je n’ai pas fréquenté l’Université en cherchant anxieusement un diplôme pour gagner ma vie. J’ai toujours milité dans les secteurs estudiantins qui luttaient pour la réforme. J’ai été expulsé de l’Université, arrêté et jugé, avant d’être médecin, par trois cours martiales. J’ai été libéré, envoyé au nord du Chili et ensuite j’ai commencé à Valparaiso ma carrière professionnelle.

J’ai rencontré beaucoup de difficultés car, bien que j’aie été un bon étudiant diplômé avec une haute qualification, je me suis présenté, par exemple, à quatre concours, dans lesquels j’ai été le seul candidat et, cependant, les postes sont restés vacants. Pourquoi ? A cause de ma vie d’étudiant.

A Valparaiso j’ai dû travailler durement, dans le seul poste que j’ai pu occuper : celui d’assistant d’anatomie pathologique. Avec ces mains, j’ai fait mille cinq cents autopsies. Je sais ce que veut dire aimer la vie et je connais les causes de la mort.

Lorsque je finissais ma journée de travail de médecin, je me consacrais à organiser le Parti Socialiste de Valparaiso. Je suis fier d’avoir maintenu, depuis que j’étais étudiant jusqu’à ce jour, une ligne, un engagement, une cohérence. Un socialiste ne pouvait être sur une autre barricade que celle sur laquelle j’ai été toute ma vie.

En vérité, j’ai subi l’influence dans ma formation d’un vieux cordonnier anarchiste qui vivait en face de chez moi lorsque j’étais lycéen. Par ailleurs, il m’a appris à jouer aux échecs. Après la fin de mes cours, je traversais la rue et j’allais bavarder avec lui. Mais comme c’était un homme brillant, non seulement il m’a développé ses points de vue, mais il m’a aussi conseillé de lire certaines choses. Et j’ai commencé à le faire. Lorsque je suis allé à l’Université, il y avait, là-bas, une inquiétude majeure, et en même temps nous, les étudiants en médecine, représentions le secteur le moins fortuné, pas comme les avocats : les avocats, en tant qu’étudiants, formaient une partie de l’oligarchie. Je dis ceci car il y a ici trois avocats chiliens.

En plus, je venais de la province et depuis cette époque j’ai commencé à voir la différence qui existait entre l’Université et la vie. Lorsque j’ai été médecin les choses se sont clarifiées. Je ne suis pas un grand théoricien marxiste, mais je crois en ses fondements essentiels, aux piliers de cette doctrine, au matérialisme historique, à la lutte de classes.

Mais je pense que le marxisme n’est pas une recette pour faire des révolutions ; je pense que le marxisme est une méthode pour interpréter l’histoire. Je crois que les marxistes doivent appliquer leurs concepts à l’interprétation de leur doctrine, tenir compte de la réalité et plus particulièrement de la réalité de leurs pays. Par exemple, en 1939 j’ai été aussi marxiste que maintenant et j’ai été, pendant trois ans, ministre de la Salubrité d’un gouvernement populaire (1). J’ai été fondateur du Parti Socialiste, qui est un parti marxiste, et je dirige depuis deux ans le gouvernement (2). Mais je l’ai déjà dit : je ne suis pas président du Parti Socialiste et mon gouvernement n’est pas un gouvernement marxiste.

J’ai été candidat quatre fois : en 51 pour montrer, pour enseigner, pour faire comprendre qu’il existait un chemin différent de celui qui était établi, y compris par le Parti Socialiste, duquel j’ai été expulsé à partir de ce moment pour ne pas avoir accepté sa ligne. Expulsé du Parti Socialiste, je suis entré en contact avec un Parti Communiste qui était dans l’illégalité. Et c’est ainsi qu’est né l’embryon de ce qui est aujourd’hui l’Unité Populaire : l’alliance socialiste-communiste. Un petit groupe socialiste que je représentais et les communistes qui étaient dans l’illégalité.

En 1951 j’ai parcouru tout le Chili sans aucune illusion électorale, mais pour dire au peuple que la grande possibilité consistait dans l’unité des partis de la classe ouvrière, y compris avec des partis de la petite bourgeoisie. La force de cette idée, née en 1951, s’est manifestée de manière puissante en 1958.

En 1958 j’ai perdu les élections pour 30 mille voix. En 1964, nous aurions vaincu s’il y avait eu les trois candidats. Mais le candidat de droite qui était radical, s’est pratiquement retiré et nous sommes restés Monsieur Frei et moi. Et la droite a appuyé Frei.


Avec ceci je veux souligner que, pendant beaucoup d’années, j’ai eu un dialogue constant et permanent avec le peuple à travers les partis populaires. Et dans cette dernière campagne, en organisant les comités de l’Unité Populaire dans chaque fabrique, dans les casernes, dans les rues, partout nous avions constitué des comités, dans les écoles, les lycées, les usines, les hôpitaux. Ces comités ont été les véhicules, les contacts, les tentacules de la pensée de l’Unité Populaire, le lien avec le peuple.

C’est pour cela que, bien que les moyens d’information aient été autant restreints, nous avons pu parvenir à la victoire d’aujourd’hui. On peut utiliser, ici, une expression non politique mais claire : la récolte de la victoire est le fruit de l’ensemencement de beaucoup d’années. En 1958, le FRAP –qui s’appelait alors comme ça : Front d’Action Populaire- a triomphé dans l’électorat masculin. J’ai gagné chez les électeurs masculins mais perdu dans l’électorat féminin.

En 1964, en dépit de l’appui que reçut Frei des secteurs de la droite, nous sommes restés à égalité dans l’électorat masculin. Mais il m’a battu par un pourcentage très élevé chez les femmes. Après cela, en 70, la vérité est qu’Alessandri et Tomic ont obtenu plus de voix que moi en proportion chez les femmes. J’ai gagné de loin chez les hommes.

Il faut dire qu’en 58, les conditions étaient différentes. L’Unité Populaire, à cette époque, était représentée surtout par des socialistes et des communistes. Et même si nous avions gagné - grâce au vote masculin - la composition du Congrès était différente de l’actuelle. Les partis Conservateur, Libéral et Radical avaient la majorité. Il n’y avait aucune possibilité, même avec l’appui démocrate-chrétien, que je puisse vaincre au Congrès.

Tout, absolument tout, était prêt au Chili, pour assurer la victoire d’Alessandri. En plus il existait une tradition selon laquelle le Congrès a toujours confirmé le vainqueur des élections. Combien c’était difficile d’imaginer qu’un Congrès, où nous n’avions pas la majorité, aurait pu rompre avec cette tradition pour élire - en 1958 - un candidat socialiste appuyé exclusivement par le Parti Communiste. Si nous avions lancé le peuple dans la lutte, une violente répression se serait déclenchée.

Même s’il est vrai que le Président Ibañez a exprimé personnellement de la sympathie envers ma candidature, il n’est pas intervenu, et ne m’a pas appuyé de façon décisive. Et je ne l’avais pas demandé. Il n’y avait aucune condition, aucune possibilité concrète.

Maintenant, je crois que nous avons fait preuve de conscience politique. Cette même nuit j’ai dit aux travailleurs que nous avions perdu une bataille mais que nous n’avions pas perdu la guerre. Et que nous devions continuer à nous préparer. Je crois que ce précédent, entre autres, est ce qui me permet maintenant d’avoir une autorité morale. Les gens savent que je suis un politique réaliste et que, par ailleurs, je tiens mes promesses.



Il y a plus de trente ans, il m’a été donné de participer de façon active à l’érection du Front Populaire, mouvement unitaire de gauche qui, avec le sacrifice des aspirations légitimes des partis de la classe ouvrière - comme le Socialiste - a rendu possible le triomphe du Président Pedro Aguirre Cerda, au sein du gouvernement duquel j’ai eu l’honneur d’être ministre de la Salubrité en tant que militant de mon parti.

En 1952, dans des moments difficiles pour la classe ouvrière et ses organisations politiques, j’ai fait face à la dure tâche de diriger un mouvement d’éclaircissement idéologique en assumant sa représentation dans une élection sans aucune possibilité de succès.

En 1958 et 1964, le processus initié en 1951 s’étant renforcé, il m’est revenu de représenter le Front d’Action Populaire dans deux campagnes présidentielles, qui, bien qu’elles n’aient pas abouti à la conquête du pouvoir, ont contribué à clarifier de manière décisive et à élargir le processus révolutionnaire.

L’effort pour unifier les partis populaires a maintenant une importance encore plus éminente.

L’Unité Populaire se propose comme l’alternative d’un gouvernement différent, elle est la conquête du pouvoir par le peuple, justement après que le pays ait expérimenté l’échec du réformisme démocrate-chrétien et lorsque sont encore visibles les résultats du régime antérieur, inspirés tous les deux par le capitalisme traditionnel.

Le panorama international nous montre l’urgence d’affronter l’intrusion impérialiste, chaque jour plus insolente et traduite par le renforcement des forces répressives et contre-révolutionnaires, ce qu’indique graphiquement le rapport du gouverneur Rockefeller.

Bolivar disait : «Les Etats-Unis veulent nous maintenir dans la misère au nom de la liberté». Et Marti a dit des phrases beaucoup plus dures. Je ne veux pas les répéter, car en réalité je fais la distinction entre le peuple nord-américain et ses penseurs et l’attitude parfois passagère de certains de ses gouvernants et la politique du Département d’Etat et les intérêts privés qui ont compté avec l’appui nord-américain.

En réalité, la doctrine Monroe a consacré un principe : « L’Amérique aux Américains ». Mais celui-ci n’a pas été efficacement observé, car en Amérique du Nord, il y a un développement qui n’existe pas en Amérique centrale ni en Amérique du Sud. Le problème n’a pas été résolu sur la base de l’égalité des intérêts. Défendre le principe de « l’Amérique aux Américains» à travers la doctrine Monroe a toujours voulu dire «l’Amérique aux Nord-américains ».

Nous connaissons bien le drame de l’Amérique du Sud, qui en étant un continent potentiellement riche, est un continent pauvre, fondamentalement victime de l’exploitation des capitaux privés nord-américains.

Nous luttons essentiellement pour l’intégration des pays latino-américains. Nous croyons juste le chemin indiqué par les pères de la patrie qui ont rêvé de l’unité latino-américaine pour pouvoir disposer d’une voix continentale face au monde. Ceci n’empêche naturellement pas que nous regardions non seulement avec de la sympathie, mais aussi en profondeur, le sens de la présence de la pensée du Tiers Monde. Je pourrais synthétiser ma pensée en réponse à votre question en disant que nous luttons avant tout pour faire de l’Amérique un authentique continent dans ses réalisations et pour nous lier chaque fois plus avec les pays du Tiers Monde. C’est clair que nous croyons que le dialogue est fondamental. Les peuples comme le nôtre luttent pour la paix et non pour la guerre ; pour la coopération économique et non pour l’exploitation, pour la solidarité sociale et non pour l’injustice.

Si l’homme des pays développés est arrivé à la Lune, c’est parce qu’il a été capable de dominer la nature. Le problème est que, même si c’est juste que l’homme mette les pieds sur la Lune, c’est plus juste que les grands pays - pour parler de manière symbolique - posent les pieds sur terre et se rendent compte qu’il y a des millions d’êtres humains qui subissent la faim, qui n’ont pas de travail, qui n’ont pas d’éducation.

C’est pour cela que je pense que l’homme du XXIème siècle doit être un homme avec une conception différente, avec une autre échelle de valeurs, un homme qui ne soit pas essentiellement et fondamentalement motivé par l’argent, un homme qui pense que pour la richesse existe une dimension différente, dans laquelle l’intelligence soit la grande force créatrice.

Je veux vous dire que j’ai confiance dans l’homme, mais dans l’homme humanisé, l’homme fraternel et non pas celui qui vit de l’exploitation des autres.

La tâche qu’a devant soi l’Unité Populaire est d’une telle urgence historique que, si elle ne se réalise pas rapidement, des tensions sociales imparables mèneront le pays au chaos, comme conséquence de la faillite du système. Même un aveugle peut voir les projections et la signification qu’ont eu et ont les grèves du Pouvoir Judiciaire et du régiment Tacna. La flamme de la révolte de la jeunesse ne s’éteindra qu’avec sa présence active et créatrice dans la construction du socialisme.

Si les partis, qui revendiquent pour eux la responsabilité d’avant-garde, ne sont pas capables d’accomplir de manière adéquate et unitaire leur rôle révolutionnaire, surgiront de manière inéluctable la rébellion désespérée ou la dictature comme projection de l’insuffisance chaque fois plus notoire du régime.


Traduction : Nadine BRIATTE, J.C. Cartagena
Notes du traducteur
(1) Front d’Action Populaire - FRAP
(2) Gouvernement d’Unité Populaire

AFFICHES DU CENTENAIRE

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