dimanche 1 septembre 2013

LES ÉTUDIANTS DÉPOUSSIÈRENT UNE ICÔNE

LES ÉTUDIANTS DÉPOUSSIÈRENT UNE ICÔNE  

En septembre 2011, les étudiants chiliens, soutenus par de larges pans de la société, se révoltaient contre le coût exorbitant de l’éducation supérieure. Et mettaient fin à un long reniement.
CAMILA VALLEJO
PHOTOCOOPERATIVA.CL
Durant des décennies, les forces progressistes chiliennes ont traité Salvador Allende en icône. On soulignait ses qualités personnelles et humaines ; on louait son attitude héroïque lors du coup d’Etat du 11 septembre 1973 : n’était-il pas mort les armes à la main ? Mais une telle célébration s’employait généralement à taire les volontés — et les réussites — de son gouvernement de l’Unité populaire (UP), une coalition allant des communistes aux sociaux-démocrates.

Or les manifestations étudiantes de 2011, les plus importantes depuis le retour à la démocratie en 1990, et l’émergence de nombreux mouvements sociaux (syndicaux, écologistes, etc.) à travers le pays (1) ont bousculé la gauche. Elles ont remis au goût du jour la nécessité de transformations structurelles profondes et élargi l’horizon de ce qu’il était possible d’exiger. Non seulement une éducation « gratuite et de qualité », mais également les moyens de l’obtenir : réforme fiscale, renationalisation du cuivre et surtout fin du modèle néolibéral inscrit dans la Constitution de 1980 — approuvée sous la dictature par la convocation d’une assemblée constituante. De nouveau, on a vu l’effigie d’Allende dans les rues. Mais, cette fois, il ne s’agissait plus de saluer une icône : les manifestants affirmaient se reconnaître dans le projet politique qu’il incarnait et qu’il incarne toujours.

Allende parvient au palais présidentiel de La Moneda, en 1970, après trois tentatives électorales infructueuses. Militant socialiste, il a toujours œuvré à la plus ample convergence des forces populaires opposées aux forces impérialistes et à l’oligarchie. Dans une Amérique latine déchirée par les guérillas, il propose d’ouvrir une « voie pacifique » vers la transformation sociale, alors même que son propre parti a pris acte, lors du congrès de Chillán, en 1967, du verrouillage de la voie institutionnelle, préférant appeler à la lutte armée.

Cette vision distingue Allende et lui a finalement permis d’amorcer un ambitieux programme politique : « Nous avons triomphé avec pour mission de renverser définitivement l’exploitation impérialiste, d’en finir avec les monopoles, de réaliser une réforme agraire profonde et digne de ce nom, de contrôler le commerce d’importation et d’exportation et de nationaliser, enfin, le crédit. Autant de piliers qui soutiendront le progrès au Chili, créant le capital social susceptible d’impulser notre développement », devait-il déclarer au balcon de la Fédération des étudiants de l’université du Chili (FECH), le soir de sa victoire.

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Image extraite du film « Septembre chilien », de Bruno Muel
Les mille jours de l’UP constituent à la fois un processus inédit d’ouverture politique et un grand sacrifice pour le peuple chilien. Ce sont mille jours au cours desquels partis politiques, syndicats, cordons industriels (organes autogérés des travailleurs) (lire « L’“octobre rouge” chilien et la naissance des cordons industriels ») et comités d’approvisionnement et de contrôle des prix (Juntas de Abastecimiento y Precios, JAP) ont uni leurs forces pour faire éclore un pouvoir populaire en mesure de répondre aux tentatives de déstabilisation du capital étranger et des intérêts impérialistes (lire « “La Spirale”, quand l’ancien monde refuse de mourir »).

L’expérience de l’UP n’a pas échoué : elle a été interrompue. Et la figure d’Allende n’est pas celle d’un président idéaliste laissant derrière lui un processus politique condamné. Elle incarne l’audace politique : celle qui a affirmé la modernité du projet de transformation révolutionnaire de la société, non seulement au Chili, mais sur tout le continent. Et elle a tracé ainsi une voie qu’a depuis empruntée une grande partie de l’Amérique du Sud, quoique dans un autre contexte, marqué par d’autres rapports de forces géopolitiques. Chaque avancée de ces gouvernements progressistes les rapproche un peu plus d’Allende.

Car évoquer le nom de Salvador Allende, ce n’est pas seulement parler du passé. C’est penser le présent, et préparer l’avenir.

Camila Vallejo

Présidente de la Fédération des étudiants de l’université du Chili (FECH) lors des manifestations de 2011. Candidate à un siège de député pour le Parti communiste chilien aux élections générales 

(1) Lire Victor de La Fuente, « En finir (vraiment) avec l’ère Pinochet », La valise diplomatique, 24 août 2011, et Hervé Kempf, « Au Chili, le printemps des étudiants », Le Monde diplomatique, octobre 2011.

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