dimanche 29 juin 2008

Discours du Président du Parti socialiste du Chili en France, (PSCH),

Intervention d’Armando Uribe Echeverría

PRESIDENT DU PARTI SOCIALISTE DU CHILI EN FRANCE


J’ai le dangereux privilège de clore cette commémoration au nom du Parti de Salvador Allende, le Parti Socialiste du Chili.
Privilège dangereux parce que bien des choses ont été dites par tous les orateurs qui m’ont précédé et que je dois éviter de les répéter.
Dangereux également parce que le Parti Socialiste du Chili que je représente en France n’est plus que l’ombre du Parti de Salvador Allende, et qu’il faudra que je m’en explique devant vous.
Dangereux, enfin, parce que je dois à la mémoire de Salvador Allende, en ce jour anniversaire, la franchise et la vérité sur la réalité politique chilienne d’aujourd’hui.
Mais avant d’en arriver là, permettez-moi de revenir sur la personne de Salvador Allende en rappelant un ou deux aspects de sa doctrine politique sur lesquels on n’insiste, à ma connaissance, jamais assez.

*

La première caractéristique que je voudrais souligner est ce qu’il faut bien appeler le constant patriotisme dont a fait preuve, jusqu’au bout, Salvador Allende.
C’est d’abord la réalité chilienne, la réalité concrète, constatable, issue de l’histoire propre de ce territoire et du peuple qui l’habite qui l’intéresse. Les conditions de vie de ce peuple, qu’il connaît en médecin, sont à la base de son engagement — comme elles étaient, et le parallèle est intéressant, à la base de l’engagement politique de ce grand homme d’Etat français, médecin aussi, George Clemenceau. Dans un discours au parlement datant de 1937, juste après le triomphe du Front Populaire aux élection législatives, Allende proclamait :

« Le Chili est une masure, une seule et grande masure qui abrite un seul malade : tout le peuple chilien. (…) Ce peuple a besoin d’une législation qui soit appliquée intégralement, et qui descende jusqu’aux substrats les plus profonds des maux sociaux dont il pâtit ; d’une législation qui en finisse une fois pour toutes avec l’agiotage et la spéculation et rompe avec l’indifférence du Gouvernement devant tous les grands problèmes d’intérêt national qui étranglent les classes moyennes et tous les secteurs capables de propulser le pays vers le progrès. »

Cet attachement à l’intérêt national opposé à l’intérêt d’un secteur de la population est sans doute un héritage de la Révolution Française dont les idées républicaines avaient été introduites au Chili au milieu du XIXe siècle par Santiago Arcos — qui avait vécu avec enthousiasme les journées révolutionnaires de 1848 à Paris.
Allende le réaffirmera en 1944, lorsqu’il définit le but ultime du travail de la gauche comme « la conquête du bien-être et de la grandeur du Chili ». La gauche, en tant que représentante du peuple, est la représentante légitime de la nation.

Lorsqu’il perd, de peu, les élections présidentielles de 1958, Allende persiste dans cette même ligne et, dans un discours au Sénat, il parle d’un des grands thèmes de sa campagne, la réforme agraire, non comme d’un impératif idéologique, mais comme d’une nécessité à laquelle aucun parti, aucun gouvernement ne peu se soustraire.

«J’avais un intérêt tout particulier, en étant le candidat des partis populaires, à proposer au pays la réforme agraire. Cette réforme est un fait social et économique qu’on ne peut éluder. Je le propose en homme responsable, qui a étudié, avec ses compagnons, cette question à fond : nous sommes convaincus que l’économie du Chili réclame une réforme agraire ; et que la réalité sociale de notre pays l’exige. J’ai répété à satiété que nous dépensons des millions de dollars pour importer des aliments que nous pouvons produire, et j’ai proposé cette réforme parce que je connais, en tant que médecin, les déficits alimentaires dont souffre la population.»

Dès lors, l’indépendance économique et la justice sociale allaient devenir les leitmotiv d’Allende et du Parti Socialiste chilien.

Pendant les années du gouvernement d’Eduardo Frei Montalva, Allende dénonça à de multiples reprises le poids de l’Amérique du Nord — aujourd’hui parfaitement avéré — dans la campagne présidentielle de 1964 et l’influence américaine qui avait privé de toute substance la « révolution en liberté » que s’était proposé de mener à bien la jeune et prometteuse Démocratie Chrétienne. Lorsqu’en 1970 il accède à la présidence de la République, Allende subira brutalement, jusqu’au Coup d’État, dont ce fut la manifestation ultime, cette présence étrangère qui s’élevait conte l’intérêt général, l’intérêt national. Sa mort dans la Moneda en flammes est l’expression finale du lien solide qui l’unissait à la nation.

*

La deuxième caractéristique de la doctrine d’Allende que je voudrais relever, et qui va de pair avec la première, c’est son indéfectible légalisme, qu’il a défendu envers et contre tous. C’est ce qui le conduisit à concevoir cette révolutionnaire « voie chilienne vers le socialisme » — la voie étant simplement celle des urnes —, qui a paru si dangereuse aux Américains dans le contexte de la Guerre froide mais qui a fini par s’imposer comme un fait normal en démocratie à partir des années 80 en Europe.
Cela m’amène à dire un mot d’une idée qui est une évidence dans tout pays du premier monde, et qui paraît cependant si difficile à comprendre ou à mettre en place en Amérique Latine.
A l’inverse de ce qu’on entend d’habitude, sous l’influence d’une propagande insistante et facile, l’accession au pouvoir de Salvador Allende en 1970 correspondait beaucoup moins à un rapprochement du Chili avec le bloc soviétique — je vous rappelle en passant que l’Union Soviétique ne se porta pas du tout au secours du gouvernement d’Allende —, mais bien davantage au rapprochement du Chili, institutionnellement parlant, avec les pays d’Europe occidentale.
Jamais auparavant — ni jamais depuis — un Gouvernement n’a été aussi près de réussir à imposer au pays les éléments essentiels de ce qu’on pourrait appeler un Pacte Républicain, c’est-à-dire un pacte entre tous les secteurs politiques de la société pour assurer une éducation publique de qualité, un système de santé accessible à tous, des logements décents, bref, un minimum social de la meilleure qualité possible afin d’assurer l’avenir du pays, l’avenir son développement, son enrichissement et l’épanouissement de ses citoyens.

L’influence étrangère, le manque de patriotisme — c’est-à-dire le défaut d’identification à une terre, à un peuple, à une histoire — ont fait que cette chance qu’a eu le Chili de franchir l’obstacle culturel qui sépare, avant tout, le premier monde du reste de la planète, a été perdue.

*

Le Chili d’aujourd’hui, après 17 ans d’une dictature impitoyable et 19 ans de gouvernements qui gèrent avec de plus en plus de difficultés une transition négociée avec les militaires et les groupes économiques qui les soutenaient, ce Chili traverse une crise grave.

Une crise politique, d’abord, qui touche tous les partis, sans exception, de la droite jusqu’à la gauche : les partis implosent, se scindent, expulsent, se fractionnent — de nouvelles formations surgissent, sans véritable colonne vertébrale, partis « instrumentaux » comme on dit, devant servir à porter au pouvoir des personnes plutôt que des idées ou des programmes.

J’insiste sur le fait que cette crise atteint tout le spectre politique, au point que non seulement des dirigeants des partis se querellent entre eux — ce qui somme toute est normal — mais que des secteurs entiers des partis, comme les jeunesses, par exemple, ne se sentent plus représentées par leur direction et s’opposent à elle ou, directement, abandonnent les partis.
A droite, c’est une lutte sans merci pour la conquête du pouvoir ; au centre et à la droite de la gauche, c’est un modèle politique, celui de la Concertation, qui semble ne plus fonctionner ; à gauche de la gauche, c’est le désordre, la dispersion en une multitude de groupuscules, l’incapacité à former des alliances.

Je disais en commençant que le Parti Socialiste, le parti d’Allende, n’échappe pas à cette crise et reste figé dans une position telle que ses électeurs comme ses militants ont de plus en plus de mal à le reconnaître comme socialiste. J’en veux pour seul exemple ces quelques mots, que je voudrais citer :

« Nous avons défendu et nous défendons la démocratie, mais cela ne nous empêche pas d’observer que le Chili est soumis, en ce moment, dans une des crises les plus profondes de son histoire. Cette crise est si profonde qu’elle touche tous les domaines : économique, politique, institutionnel et moral.
Nous n’avons eu aucune influence décisive au gouvernement et nous n’avons occupé que des ministères subalternes, sans aucune possibilité d’intervenir dans les grands choix économiques de la nation.

Nous, socialistes, avons quitté le gouvernement lorsque nous avons vu l’impossibilité de conduire une politique positive en faveur du pays, en faveur du peuple et de ses classes laborieuses. Nous avons quitté l’Exécutif lorsque nous nous sommes aperçus que nos efforts au gouvernement étaient stériles et mal interprétés, et que nos initiatives étaient étouffées par la droite économique, qui continue à contrôler à elle seule le crédit et les finances. »

Qui parle ? Salvador Allende en 1947, après que les socialistes se furent retirés du deuxième gouvernement du Front Populaire, celui de Juan Antonio Ríos.

Toutes proportions gardées, le parallélisme des situations est stupéfiant. Et la réponse nette, précise, compréhensible apportée à cette situation par Salvador Allende et par le Parti Socialiste d’alors contraste de manière criante avec celle du Parti Socialiste d’aujourd’hui face aux difficultés.

La crise n’est pas que politique, elle est également économique. Ce n’est pas que le Chili, dans les grands équilibres macro-économiques qui est malheureusement l’unique boussole des économistes qui gouvernent le monde, soit malade, non. La maladie économique du Chili réside dans la non redistribution des richesses, dans l’endettement effrayant des ménages, qui payent tout, jusqu’au beurre, à crédit, à des taux d’usure qui dépassent aujourd’hui les 52% ! Tout ce qui était privatisable l’ayant été, tout est éminemment payant, à commencer par l’éducation et par la santé.

L’éducation publique est dans un état d’agonie, les étudiants et les écoliers étaient l’année dernière dans la rue et le sont encore cette année, et en sont réduits à occuper les locaux des partis politiques — ceux du Parti Radical, ceux du PPD l’ont été, ceux du Parti Socialiste l’ont été encore une fois il y a quelques jours, par les Jeunesses Socialistes — et là, encore, les dirigeants de Parti de Salvador Allende se sont contentés d’appeler les carabiniers à la rescousse, envoyant les jeunes militants en prison.

La crise actuelle est aussi une très profonde crise institutionnelle, dont proviennent la crise politique et la détresse économique dont je viens de parler. La transition de la dictature à la démocratie s’est faite, en 1989 à la condition expresse que la légalité instaurée par la dictature et le schéma économique imposé restassent inchangés.

Cet accord — conclu en secret, évoqué de temps à autre, y compris par ceux qui l’ont scellé, n’a jamais été publié. Le Chili vit donc, depuis 1989 avec une constitution dessinée sur mesure pour Pinochet et votée en 1980 dans des conditions inacceptables : en pleine dictature, avec un million de Chiliens exilés de force, des dizaines de milliers en prison, des milliers des dirigeants politiques et syndicaux disparus dans les geôles, sans listes électorales, et alors que les garanties constitutionnelles étaient suspendues.

Nous subissons encore aujourd’hui un ordre institutionnel inique et des lois de sécurité nationale dont il est inadmissible qu’elles puissent être appliquées en démocratie, comme celles qui servent à réprimer le peuple Mapuche, dont les prudentes revendications n’empêchent pas le Gouvernement d’emprisonner les dirigeants et même, depuis quelques semaines, d’emprisonner une cinéaste, Elena Varela, pour le délit d’avoir tourné un documentaire sur leurs luttes.

Nous subissons enfin, cet accord tacite, secret, qui fait que si grâce au courage des magistrats un certain nombre de militaires ont fini par être traduits en justice pour des atteintes aux droits de l’homme, les responsables politiques de la dictature, les idéologues et tous les précieux soutiens des militaires — qui ont cautionné le coup d’Etat et cautionné toutes les trahisons et toutes les horreurs — restent impunis.

Ce cadre constitutionnel et juridique hérité des militaires comporte bien d’autres injustices sur lesquelles je ne peux pas m’étendre ici, comme le déni du droit de vote aux Chiliens de l’étranger (alors que nous représentons quelque 8% de la population) ou encore un système de vote, le fameux système binominal, qui assure systématiquement à l’opposition de droite une représentation importante dans les deux chambres.

*

Il faut prendre acte aujourd’hui de la mort d’un modèle politique, celui de l’interminable transition qu’une alliance de partis, la Concertation, voudrait prolonger encore, sans voir qu’elle risque elle-même de disparaître dans une tourmente incontrôlable qui peut à n’importe quel moment se déchaîner — et qu’aucun d’entre nous, quelles que soient nos opinions ou nos choix politiques, ne pouvons souhaiter.

En tant que citoyens responsables nous devons prendre les choses en main et appeler toutes les forces vives de notre pays à demander une nouvelle charte constitutionnelle qui assure équitablement à tous les Chiliens, quelle que soit leur origine sociale, un avenir possible.

J’appelle solennellement ici, dans cette enceinte où nous ont invités nos amis français — et je voudrais remercier ici très chaleureusement Messieurs Henri Emmanuelli et Jean-Paul Huchon—, dans cette enceinte qui est le symbole de la démocratie, qui est le symbole de la République, au nom et en souvenir du président Salvador Allende, à renouveler le pacte suprême des citoyens libres, en demandant la réunion d’urgence d’une Assemblée Constituante.

Aucun commentaire: