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RAYMOND ARON, PHILOSOPHE, SOCIOLOGUE, POLITOLOGUE, JOURNALISTE ET ÉDITORIALISTE AU QUOTIDIEN DE DROITE LE FIGARO. PHOTO SERGE HAMBOURG. |
«La vie et la mort du président Allende forcent également le respect. Jusqu'au bout fidèle à son serment constitutionnel, il n'a ni renoncé à son projet socialiste ni supprimé les libertés publiques. C'est l'armée finalement, et non la coalition de gauche, qui a proclamé l'état de siège et suspendu le fonctionnement d'une démocratie longtemps donnée en exemple aux pays d'Amérique latine. Si la qualité des âmes pouvait suppléer à la qualité des idées, si un chef d'Etat n'était comptable que de ses intentions, l'histoire du Chili s'écrirait en noir et blanc : les démons en armes abattent la vertu du pouvoir.
Il suffit de se reporter aux dépêches qu'envoyaient depuis plusieurs semaines tous les correspondants de presse pour se convaincre que le coup d'Etat attriste plus qu'il ne surprend. Des deux côtés, on se préparait à l'épreuve de force ; des deux côtés, on s'organisait pour un combat que l'opinion prévoyait et redoutait tout à la fois. Inflation galopante, pénurie des produits de première nécessité, rationnement, marché noir, queues devant les magasins, épuisement des réserves de change : tel se présentait aux ménagères des villes le bilan économique du socialisme à la chilienne.
Je ne déteste rien tant que les coups d'Etat militaires, même ceux que les circonstances et l'art permettent de dissimuler sous des apparences légales. Mais, en septembre 1973, ce que le commentateur ne peut ni ne doit oublier c'est que l'armée chilienne passait pour respectueuse des institutions, qu'elle le fut effectivement au cours des deux premières années du régime d'unité populaire, qu'elle sauva même le président Allende quand plusieurs chefs militaires acceptèrent d'entrer au gouvernement. L'armée ne rompit finalement avec sa tradition et ses principes qu'à un moment où l'échec du président Allende était consommé. Elle n'intervint pas pour arrêter les progrès du socialisme - le président, face aux passions déchaînées et à une économie dégradée, ne songeait plus qu'à durer - mais pour prévenir une guerre civile.» (Raymond Aron, «La tragédie chilienne», Le Figaro, 14 septembre 1973.)
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