jeudi 26 mai 2011

La mort de Salvador Allende au microscope

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Le président chilien Salvador Allende dans son bureau Santiago du Chili en 1970
Dans le froid du petit matin, les coups de marteau résonnent dans l'immense cimetière général de Santiago. Devant un parterre de journalistes, les ouvriers s'affairent à ouvrir la tombe de l'ancien président Salvador Allende. Des personnalités politiques, des avocats tendent le cou pour voir l'intérieur de l'imposant caveau familial de marbre blanc, où se trouvent la famille, le juge, les médecins légistes, la police d'investigation. Une heure plus tard, le cercueil gris métallisé apparaît. À l'intérieur, une urne contient les ossements de Salvador Allende.
«Objectivement, le temps qui a passé et l'état de conservation de la dépouille de l'ancien président jouent contre nous, reconnaît le juge Mario Carroza, chargé de l'enquête sur la mort du chef d'État. D'un autre côté, nous bénéficions des avancées scientifiques des dernières années en matière de médecine légale.» À partir du contenu de l'urne, 12 experts chiliens et étrangers, parmi lesquels des médecins légistes, des anthropologues, une archéologue et un expert en balistique, devront déterminer comment l'ancien président est mort il y a près de 38 ans.

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Vue prise le 26 juin 2000 d'une statue du président chilien Salvador Allende installée à Santiago
Analyse d'ADN
Ils vérifieront tout d'abord que les restes sont bien ceux du président Salvador Allende à l'aide d'échantillons sanguins de deux de ses filles. Non seulement aucune enquête n'a été menée jusqu'ici sur la mort la plus symbolique du Chili, mais aucun test d'ADN n'a été réalisé pour vérifier l'authenticité de la dépouille.
Le 11 septembre 1973, les forces armées dirigées par le général Augusto Pinochet ont bombardé le palais présidentiel. Le président Salvador Allende a d'abord résisté.
À 82 ans, le Dr Arturo Jiron, ancien ministre de la Santé d'Allende, s'en souvient comme si c'était hier: «Le président a décidé la reddition. Nous nous sommes alors rangés en file indienne. J'étais parmi les derniers. Tout à coup, j'ai entendu Enrique Huerta crier: "Le président est mort!" J'ai poussé la porte. J'ai vu au fond de la pièce le président dans son fauteuil, le crâne fracassé, du sang partout.»
Le Dr Jiron fait partie des rares survivants qui ont vu Salvador Allende mort. Selon lui, l'ancien président s'est suicidé. Une conviction que partage sa famille. «Mon père a pris la décision de mourir dans un geste de cohérence politique pour défendre le mandat que lui avait remis le peuple», a souligné sa fille, la sénatrice Isabel Allende, au cimetière général.
La thèse de l'homicide
Mais cette opinion ne fait pas l'unanimité. «Je ne crois pas à la thèse du suicide. Le président a été assassiné», insiste Miguel Littin, cinéaste et ancien conseiller en images de Salvador Allende, venu lui aussi assister à l'exhumation. L'autopsie réalisée par deux médecins de la junte, à huis clos, en 1973, a conclu au suicide. Or, selon le médecin légiste Luis Ravanal, le rapport d'autopsie fait état d'une lésion circulaire dans la partie haute et postérieure du crâne. «Cela ne correspond pas à la déflagration provoquée par un fusil d'assaut comme l'AK-47, explique-t-il, mais à une arme de petit calibre.» Deux tirs auraient donc atteint le crâne de l'ancien président, contrairement à la version officielle.
Pour la première fois, la justice enquête. Elle parviendra peut-être à trancher, à établir les faits, loin des opinions. L'écriture de cette page sombre de l'histoire repose désormais sur les analyses médicolégales des experts. Des analyses qui seront peut-être encore plus difficiles que prévu.
En 1990, la dépouille de l'ancien président a été exhumée pour être transportée au cimetière général. «Aucun médecin légiste n'était présent», se souvient le caméraman Pablo Salas, qui a filmé l'exhumation.
«Comme le cercueil était en mauvais état, seuls les ossements ont été recueillis pour être placés dans une petite boîte. Les vêtements et les chaussures ont été jetés.» Certains fragments d'os ou de balle, essentiels, ont peut-être fini à la poubelle...

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