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Dans l'après-midi du 11 septembre 1973, trois soldats et plusieurs pompiers sortaient du Palacio de la Moneda [siège de la présidence] en transportant un ballot enveloppé dans une couverture à rayures, que la notaire Alina Morales avait offert à Allende pour son dernier anniversaire. On suppose qu'il s'agissait du corps du président Allende. Il est conduit dans un camion-ambulance de l'armée vers l'Hôpital militaire, où des médecins pratiquent l'autopsie. Le lendemain matin, la veuve Hortensia Bussi, accompagnée d'Eduardo Grove Allende, neveu de Salvador, arrive à l'Hôpital avec un laissez-passer des autorités militaires et exige qu'on lui remette le cadavre. On lui apprend qu'il a été transféré à l'aéroport de Los Cerrillos. Avec une présence d'esprit à toute épreuve, Tencha [surnom d'Hortensia Bussi] se rend à l'aéroport où elle et sa belle-sœur, la députée Laura Allende, qui y est allée directement, récupèrent le cercueil au moment où il allait être transporté dans un DC-3 de l'armée de l'air. Hortensia Bussi demande à voir le corps, mais se heurte à un refus ; le cercueil, d'après ce qu'on lui dit, est scellé. “Je ne saurai jamais — ou un jour peut-être, je ne sais pas — si celui que j'ai enterré était bien Salvador Allende, parce qu'on ne m'a pas laissé ouvrir le cercueil”, dira-t-elle.
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Des pompiers et de militaires retirent dans une civière le corps sans vie du président Allende le 11 septembre 1973 |
Pendant le vol, à côté du cercueil, sont présents l'épouse et la sœur du président, Patricio Grove Allende, Eduardo Grove Allende et son fils adolescent Jaime, filleul du défunt. Ensuite, depuis la base de Quintero, le cortège — un corbillard et deux voitures — se rend à Viña del Mar et pénètre dans le cimetière Santa Inés jusqu'au caveau de la famille Grove Allende. Plusieurs officiers en uniforme les y attendent. Hortensia Bussi salue froidement, Laura a les lèvres pincées. Trois décennies plus tard, la veuve se rappellera : “Avant qu'ils ne descendent le cercueil, j'ai fait un effort pour ne pas m'effondrer. Personne ne m'a vue pleurer. J'ai ravalé mes larmes, toutes mes larmes. Je me suis dit : ‘Pas question qu'ils me voient pleurer’”.
A cet instant, Hortensia Bussi insiste pour qu'ils ouvrent le cercueil. Le couvercle est soulevé, mais elle ne voit qu'un drap : “Je n'ai pas pu savoir si c'était ses pieds ou sa tête”. La veuve prend une fleur, la dépose sur le cercueil et déclare : “Je veux que vous sachiez que nous enterrons ici Salvador Allende, président du Chili, de façon anonyme, car on ne veut pas que cela se sache. Mais moi je vous demande à vous, fossoyeurs, jardiniers, et à tous ceux qui travaillent ici, de dire autour de vous que Salvador Allende est ici, pour qu'il ait toujours des fleurs.”
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Dix-sept ans plus tard, six mois après son arrivée à la présidence, Patricio Aylwin [élu en décembre 1989 et entré en fonction le 1er mars 1990]] décide d'organiser les secondes obsèques de Salvador Allende, officiellement cette fois. Préalablement, le 17 août 1990, la dépouille de Salvador Allende fait l'objet d'une identification plus symbolique que formelle au cimetière Santa Inés de Viña del Mar. Le docteur Arturo Jirón, qui était aux côtés d'Allende lors de la bataille du palais de La Moneda, représente la famille et pénètre dans le mausolée des Grove de nuit, à la lumière des torches et des lanternes. Le bois est pourri, le cercueil se casse. En juin 2007, Jirón nous déclarera : “J'ai reconnu le pull-over et la veste en tweed, et j'ai vu son crâne fendu. C'était lui. C'était sinistre.” Des odeurs ? “Non pas de mauvaises odeurs.” La couverture rayée dans laquelle ils l'ont enveloppé y était-elle encore ? “Non.”
Si elle n'est pas totalement infondée, cette “identification” par les vêtements d'un cadavre qui avait été déshabillé et autopsié 17 ans plus tôt n'a aucune valeur scientifique. Les obsèques officielles, coordonnées par le ministre Enrique Correa, ont lieu le 4 septembre 1990, date du vingtième anniversaire de l'élection dont Allende était sorti victorieux. Pinochet est toujours le chef des armées, la situation est délicate, et le gouvernement chilien, craignant un soulèvement populaire, veut éviter à tout prix des manifestations. Le cercueil contenant la dépouille roule à toute allure de Viña del Mar jusqu'à la cathédrale de Santiago, où une cérémonie religieuse et un répons du cardinal Carlos Cavada rendent hommage à président franc-maçon et prétendument suicidé – deux motifs d'excommunication selon le dogme catholique. De là, il rejoint le mausolée familial au Cementerio General de Santiago.
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Lors de la cérémonie officielle, à l'entrée du cimetière, des personnalités étrangères accompagnent la veuve et la famille. Hué par une partie de l'assistance, le président Aylwin proclame que c'est une “erreur injuste” qu'on répare ce jour-là. L'avocate Gabriela Alvarez (disparue en avril dernier), qui était aux côtés d'Allende lors de sa première campagne présidentielle en 1952, bouscule le programme et fait ses adieux à son ami Salvador en délivrant un discours enflammé devant sa sépulture. Pour Hortensia Bussi, ces obsèques sont “un grand geste de réconciliation”. Depuis lors, la dépouille présumée de Salvador Allende repose dans ce mausolée, où elle reçoit de constants hommages. L'exhumation ordonnée par le ministre Carroza devrait permettre de confirmer enfin, et définitivement, son identité.
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